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le Monde Diplomatique
L’Arctique échappe à Washington
Article mis en ligne le 14 juillet 2020
dernière modification le 13 juillet 2020

Il eût été étonnant que les pôles restent longtemps épargnés par les querelles sino-américaines. Bien qu’ils y possèdent une de leurs plus importantes bases stratégiques, les États-Unis avaient un peu délaissé l’Arctique… jusqu’à ce que la Chine décide de s’y intéresser. En partenariat avec la Russie, elle entend tracer la « route polaire de la soie », lorgnant les énormes ressources naturelles de la zone.

(...) Même si le nouveau brise-glace construit en Chine a pris la route de l’océan Austral pour une mission scientifique, la nouvelle était surtout commentée dans les cinq pays riverains de l’océan Arctique (Russie, Canada, Norvège, Danemark et États-Unis) et les autres membres permanents du Conseil (Suède, Islande et Finlande). En août 2017, le premier Dragon des neiges, acheté à l’Ukraine, avait fait une sortie remarquée en traversant le passage du Nord-Ouest, avant de sillonner toute la zone pour ce qui a été perçu comme un « repérage ».

Depuis la création de l’Institut de recherche polaire en 1989, à Shanghaï, Pékin a montré un intérêt croissant pour ces régions. En témoignent non seulement ses explorations et les travaux scientifiques mais surtout ses investissements dans les transports, l’énergie et le secteur minier, principalement en Russie, au Canada, en Islande ou au Groenland, mais aussi aux États-Unis. (...)

Dans le Livre blanc publié en janvier 2018 (2), le gouvernement chinois se présente comme le représentant d’un « État du Proche-Arctique » et définit sa politique par quatre mots-clés : comprendre, protéger, développer et participer. Les deux premiers termes renvoient de manière consensuelle aux recherches scientifiques et à la préservation des cultures locales ou d’un environnement unique, particulièrement fragile. Le « développement » évoque les ressources et surtout les futures routes navigables qui pourraient s’ouvrir progressivement avec la fonte de la banquise. Cela concerne principalement la « route polaire de la soie » : le passage du Nord-Est qu’empruntent déjà, principalement en été et en automne, des navires commerciaux dans un partenariat de plus en plus intense avec la Russie. Si le transit de porte-conteneurs reste hypothétique, celui des méthaniers devient régulier depuis 2017. Aux côtés du français Total, la Chine a investi beaucoup d’argent dans Yamal LNG (3), l’entreprise qui exploite les ressources gazières immenses du nord de la Sibérie occidentale, avec quinze vaisseaux de classe « glace » pouvant naviguer à travers une banquise de 170 cm d’épaisseur.

Face à la persévérance chinoise

En 2013, Pékin a obtenu le statut d’« observateur permanent » au Conseil de l’Arctique, notamment grâce au soutien actif de l’Islande, pays qu’elle a aidé financièrement après la crise de 2008 et avec lequel elle a signé un accord de libre-échange (4). En contrepartie, elle a reconnu les droits souverains des États riverains. Le Livre blanc évoque à plusieurs reprises le respect des traités et en particulier de la convention des Nations unies sur le droit de la mer — que le Canada et la Russie invoquent pour revendiquer de très larges zones économiques exclusives —, tout en rappelant que les États-Unis ne l’ont pas ratifiée… (...)

Face à cette persévérance chinoise, la politique de Washington apparaît velléitaire. En témoigne la proposition d’acheter le Groenland, lancée le 18 août dernier par M. Donald Trump — avec la délicatesse qui le caractérise. Le président américain semblait oublier au passage que son pays entretient depuis 1951, à Thulé, dans le nord de l’île glacée, l’une de ses plus importantes bases stratégiques. (...)

Pourtant l’Alaska n’a toujours pas de port en eaux profondes sur sa rive nord. La première puissance mondiale ne peut affréter aucun bâtiment militaire de surface dans les mers glacées et ne dispose que d’un seul brise-glace lourd capable d’évoluer dans toutes les conditions : le Polar Star, lancé en 1976… Aucun remplaçant n’est attendu avant au mieux 2024.

Bien que riverains immédiats de l’océan Arctique, les États-Unis n’ont pas une position géographique très avantageuse, cette rive étant encore très loin d’être navigable jusqu’à l’Atlantique pour les bateaux de commerce, contrairement aux rives russes. En outre, ils resteront tributaires des Russes et des Canadiens, qui considèrent les détroits comme des eaux intérieures. (...)
pour la première fois depuis sa création en 1996, le Conseil de l’Arctique, qui s’est réuni le 7 mai 2019, n’a pas pu adopter une déclaration commune, car Washington n’a pas voulu que le réchauffement climatique y soit mentionné comme une « sérieuse menace » pour la région. La veille, le secrétaire d’État américain rappelait pourtant que les émissions de gaz carbonique de son pays baissaient, tandis que la Chine a multiplié les siennes par trois entre 2000 et 2016 — ce qui n’est d’ailleurs pas faux.

Sans réelle prise sur le rapprochement russo-chinois en cours, Washington en est réduit à montrer ses muscles au nord du 60e parallèle. (...)