
. Le tour Alternatiba vient de partir, il nous montre à chaque étape que le vivre-ensemble s’épanouit dans les lieux alternatifs. Les expériences collectives comme les Babayagas, les Grands Voisins ou les Oasis des Colibris préfigureraient-elles la ville de demain ?
La gentrification -l’embourgeoisement des quartiers populaires et l’exclusion des plus pauvres- est un des principaux problèmes de la métropolisation de Paris et de sa banlieue. Le logement est devenu un bien marchand, un actif financier dont la valeur s’accroit avec l’attractivité d’un quartier. L’agglomération parisienne manque de logements, de logements dignes et bon marché. Depuis 2000, les prix de l’immobilier ont été multipliés par 2,1. La loi sur le Grand Paris prévoit de construire 70.000 logements par an, ou un million en quinze ans, mais ce rythme n’a jamais été atteint et 360 000 logements (6% du parc) restent vacants en Île-de-France. Produire du logement en quantité industrielle ne présage pas d’une ville de qualité, d’une ville accueillante et bienveillante pour la diversité sociale, la mixité générationnelle, la multiplicité de ses habitants. La ville métropolisée souffre de la spéculation immobilière et foncière, des impératifs financiers de profit et de rentabilité à court terme. Ceux-ci priment sur les principes éthiques, sociaux et de bien-être.
Pouvons-nous faire la ville autrement ? Comment réinventer un vivre-ensemble ?
Les trois exemples qui suivent recherchent des alternatives au déclin du système actuel. Ils expérimentent des moyens pour construire un vivre-ensemble harmonieux, engagé socialement et conscient des enjeux environnementaux actuels.(...)
La maison des Babayagas « debout les encore vivantes ! »
L’aventure des Babyagas a commencé par un appel, un appel aux armes, « Aux armes Citoyennes »…aux « Armes de paix, graines du futur. » En 1997, la militante féministe Thérèse Clerc lance un manifeste pour construire un lieu et un mode de vie, un habitat pour vivre ensemble la vieillesse dans la pleine liberté.(...)
La maison des Babayagas n’interroge pas seulement le vieillissement, c’est un lieu féministe, uniquement destiné aux femmes de plus de 60 ans. Il pose la question de la vieillesse des femmes et de leur précarité.(...)
La maison des Babayagas n’est pas seulement un habitat participatif pour personnes âgées, elle a été conçue comme un lieu de réflexion, d’animation et d’échange sur le vieillissement, un lieu d’ouverture politique, sociale et culturelle. (...)
La solidarité, l’autogestion et l’attention mutuelle compense les pertes d’autonomie individuelle. Selon Anne Labit, sociologue : « L’habitat participatif parvient à résoudre la grande équation de la vieillesse : le désir d’autonomie versus le désir de sécurité. »(...)
Ce fonctionnement est plus vertueux et aussi beaucoup plus économique que les foyers traditionnels pour personnes âgées. Aussi le loyer n’excède pas quelques centaines d’euros par personne. Les éventuels surcoûts liés aux espaces collectifs sont largement inférieurs aux coûts du maintien à domicile, ou à l’encadrement des EHPAD.(...)
Les Oasis sont construites autour de cinq principes fondamentaux
: l’agriculture vivrière de proximité, en produisant son alimentation de façon écologique ou en soutenant un producteur local ; la réduction de l’empreinte écologique et énergétique de son habitat via l’éco-construction et la sobriété énergétique ; la lutte contre l’individualisme par la mutualisation, la coopération, la cohésion et la solidarité, la mise en commun ; les relations humaines bienveillantes et la gouvernance respectueuse pour cheminer ensemble ; l’ouverture, la volonté de partage, de convivialité et de transmission…
L’Île-de-France compte une cinquantaine d’Oasis, déjà réalisées ou en projet et plus de 700 sur toute la France(...)
Outils open source
Pour Colibris, les difficultés d’un projet d’Oasis ne sont pas juridiques ou techniques, ces dernières se surmontent facilement, elles viennent principalement du facteur humain, de la gouvernance. Pour une gouvernance adaptée, souple, horizontale, la taille optimale d’une Oasis serait de 5 à 12 foyers. Au-delà, les échanges sont plus complexes et permettent moins de diversité dans le projet.
En moins de 5 ans, Colibris a développé de multiples outils pour favoriser le développement des Oasis. Tous ces outils sont gratuits, libres de droits et à la porté de tous(...)
Les Grands Voisins, un espace bienveillant inédit à Paris
Depuis 2015, les Grands Voisins ont investi le site de l’hôpital et de la maternité Saint-Vincent-de-Paul (fermé en 2012) dans le 14e arrondissement. Plus que de l’urbanisme temporaire, cette expérimentation urbaine sur 3,4hectares dans Paris apporte des réponses innovantes et bienveillantes à la lutte contre l’exclusion et l’isolement. En avril, le projet a commencé sa deuxième « saison » qui devrait se terminer en 2020.
Dès 2012, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris confie le site à l’association Aurore, une des plus grandes associations d’hébergement d’urgence en France. Elle installe dans les bâtiments vacants six centres d’hébergement permettant d’accueillir 600 personnes, réfugiés isolés en démarche d’insertion, femmes isolées, hommes de plus de 55 ans, hommes et femmes de 18 à 30 ans en grande précarité. Certains résidents nécessitent un temps de stabilisation et parfois souffrent d’addictologie ou de troubles psychiques. Tous sont accompagnés par les équipes sociales de l’association Aurore.
En 2015, Aurore ouvre les portes de Saint-Vincent-de-Paul à l’association Yes We Camp et à la coopérative Plateau Urbain. Le budget d’entretien et de gestion de ce petit territoire est élevé. Sécuriser, éclairer, chauffer ces milliers de mètres carrés coûtent 1,2 million d’euros par an. Aussi Yes We Camp et à Plateau Urbain sont mobilisé pour organiser, animer et louer les vastes espaces encore disponibles à ceux qui en ont besoin. Contre un loyer modeste, startupers, artisans, artistes et associations vont participer à la vie collective du site, voire s’engager dans une action sociale avec les résidents de l’hébergement d’urgence. C’est la naissance des Grands Voisins.(...)
L’association Marseillaise Yes We Camp réunit entre autres architectes, urbanistes, charpentiers, designers ou graphistes. Avec quelques planches, des tiges de métal, tout un bric-à-brac de choses récupérées et une belle énergie, elle aménage des lieux temporaires, transforme les espaces, agence les restaurants du site, la Lingerie, la cour Oratoire, organise des campings éphémères, construit du mobilier provisoire...(...)
Symbiose sociale …
La réussite des Grands Voisins tient notamment du travail social et des partenariats qui ont été mis en place au profit des résidents du centre d’hébergement. Les associations et les jeunes entreprises ont créé des emplois d’insertion pour les bénéficiaires du centre. (...)
Une monnaie locale ou monnaie-temps a aussi été mise en place pour encourager la participation au projet collectif et faciliter l’échange de biens, de services ou de compétences contre du temps.(...)
Ce dispositif encourage la participation aux activités des résidents des centres d’hébergement qui ne peuvent pas disposer d’un contrat de travail. Le « Troc shop » permet d’échanger le travail bénévole effectué sur le site contre des objets, des vêtements ou des tickets de métro.(...)
L’homme habite en poète
Les Babayagas, les Oasis, les Grands Voisins et les centaines d’initiatives similaires tournent le dos à 150 ans de production industrielle de la ville, ils inventent de nouveaux modes de faire la ville. Pour les urbanistes, les architectes, les citoyens, jeunes et vieux, il ne s’agit plus de planifier, produire et consommer l’espace urbain mais bien de passer à l’action, de prendre part à sa réalisation, d’être actif dans sa fabrication. La ville se construit et construit ceux qui la construisent. (...)