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L’Internet caché du monde de l’ombre
par Laurent Chemla
Article mis en ligne le 25 mai 2013
dernière modification le 18 mai 2013

Darknets, « web profond », Freenet, TOR, Bitcoins sont des mots à la mode, ces temps-ci.

On ne compte plus les articles racoleurs, sensationnalistes, qui traitent de ces menaçants « pirates du Web » qui pullulent, cachés derrière nos écrans aseptisés à haute dose d’antivirus.

Pédophilie, vente d’armes, de drogue, de numéros de cartes bancaires, création de monnaie parallèle, réseaux de pirates black hat qui œuvrent pour les forces du mal alors que les gentils white hat les poursuivent avec de bien maigres moyens... je retrouve ces poncifs sur tous les médias. Ce sont les mêmes mots (« partie émergée de l’iceberg », « selon une étude » — jamais citée —, « Internet invisible »...), les mêmes peurs, les mêmes experts auto-proclamés que chacun de ces documentaires, articles, billets de blogs exploitent et répètent à l’envi.

Fut un temps — quand ma barbe n’avait pas encore blanchi — où j’appréciais ces délires. Comme on s’amuse des caricatures des méchants de James Bond. Mais la surabondance actuelle de ces thèmes est plus fatigante que drôle, et la répétition, ici, n’est pas comique : elle n’est que pathétique. (...)

Le Web de Papa étant désormais régi d’un côté par la censure puritaine des Facebook et Apple, de l’autre par la surveillance totalitaire de Google et des gouvernements, il est vrai que le marronnier des « dangers d’Internet » a pris un gros coup de vieux, et avait bien besoin de trouver de nouveaux épouvantails (ici servis sur un plateau par quelques geeks irresponsables qui valorisent leur anonymat en ligne par dessus tout).

Nulle analyse ne ressort de ces pseudo-dossiers, sauf la peur de l’auteur — ou de ses mandants — d’un outil qu’ils ne comprendront jamais. (...)

On pourrait, pour commencer, rappeler que c’est l’imbécile Hadopi qui a, en France, poussé une bonne partie de la jeune génération vers des techniques d’anonymisation qu’elle ignorerait toujours sans le lobbying de l’industrie culturelle. Grâce à sa très coûteuse existence, elle a appris à vos enfants des notions telles que VPN, proxys, ou « Web profond ». Grâce à son action si peu efficace de milice privée financée par des fonds publics, elle aura aussi poussé les plus curieux d’entre eux vers les réseaux chiffrés de pair à pair (TOR, Freenet et autres avatars) et les plus motivés par l’argent vers la création de « trackers » pirates, pièges à pub rémunérateurs qui vendent ce qui devrait être gratuit (le partage).

Il serait pourtant dommage que le gouvernement néglige cette (incontestable) réussite lorsqu’il fera le (maigre) bilan de cette expérience (ridicule). (...)

autant je pense qu’il est utile, nécessaire, de pouvoir consulter de manière totalement anonyme tout ce que la civilisation humaine compte de publication, autant l’argument systématique « ça protège la vie des opposants aux régimes totalitaire » utilisé par les défenseurs à tout crin des outils d’anonymisation totale me hérisse le poil.

Déjà, c’est faux.

Si je suis une dictature, soit je mets en prison tout citoyen que je choppe à utiliser ces outils, soit je mets moi-même ces outils en place (en me faisant passer pour un gentil hacker) pour mieux repérer mes opposants les plus actifs : c’est d’autant plus facile pour moi que je peux le faire... anonymement.

Mais surtout c’est stupide. Et inutile.

Imaginez un peu : le pauvre activiste nord-coréen va donc utiliser son précieux accès TOR en se connectant (sans aucune trace parce qu’il est super doué en informatique) depuis un accès anonyme (et on sait que les dictatures en regorgent (ou pas)) sur son blog (anonyme aussi forcément, sinon tous ses efforts précédents ne servent à rien) pour dénoncer la corruption du pouvoir en place.

Déjà, là... Non mais : admettons.

Disons donc que, comme dans les séries américaines, notre super-opposant parvient à se jouer de toutes les sécurités en place grâce à un trombone qui désactive la puce de contrôle gouvernementale (oui je sais, je ferais un pitoyable scénariste). Son article est publié, et rien ne permet de savoir que c’est lui qui l’a écrit. Bravo.

Qui va croire à ce qu’il a mis dedans ?

Vous, je ne sais pas, mais moi quand je tombe sur un billet anonyme et dont rien de ce qu’il contient ne pourrait me permettre d’identifier la source, eh bien, j’y accorde à peu près autant de crédit que ce que son auteur y a mis d’identité : zéro, nib, nada.

Je ne peux pas, quand je lis quelque chose d’anonyme, publié sur un média intraçable, accorder le moindre crédit à ce que je vois.

Je ne sais pas qui l’a écrit. Je ne sais pas si ce n’est pas de la propagande d’un autre état totalitaire, voire même de la police politique du premier pour attirer d’autres opposants. Par exemple.

Ou même, simplement, si ce qui est raconté n’est pas totalement imaginaire : comment savoir ? On ne peut pas croiser des sources anonymes parce que qu’on ne sait même pas si elles sont distinctes les unes des autres (zéro plus zéro...). On ne peut pas savoir si la source est fiable au nom de ses révélations passées (parce qu’entre temps elle a pu changer et qu’on a aucun moyen de le savoir). On ne peut pas vérifier les preuves proposées (parce qu’elles n’existent pas, sans quoi il serait trop facile de remonter jusqu’à celui qui en disposait et qui- - du coup — ne serait plus anonyme). On ne peut pas savoir si la photo publiée est truquée ou non.

Par définition, une source anonyme et intraçable n’a aucune crédibilité. Et comme les opposants politiques des régimes dictatoriaux sont rarement des imbéciles, ils le savent et n’utilisent pas ces outils pour s’exprimer (...)