
Intervention faite le 17 novembre à l’École normale supérieure lors de la conférence-débat Quelle ONU pour demain : comment améliorer l’ONU ? avec Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Chloé Maurel, historienne, chercheuse à l’IRIS et Anne-Cécile Robert, journaliste au Monde diplomatique. Conférence-débat présentée par Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches internationales.
Au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité a mandat, si toutes les mesures prises sont sans résultat, « de recourir à la force armée pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Je voudrais aborder cette mission de l’ONU dans un moment où dans le monde l’alarme militaire est aussi grande que l’alarme écologique. Elle l’est en raison des guerres dont le Proche-Orient et l’Afrique sont l’épicentre, de conflits larvés entre puissances globales ou des ambitions de puissances régionales, de déchirements démographiques ou climatiques, de crises politiques, sociales, confessionnelles sur tous les continents, cela dans un monde surarmé que ce soit à des fins de défense ou de répression. (...)
Au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité a mandat, si toutes les mesures prises sont sans résultat, « de recourir à la force armée pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Je voudrais aborder cette mission de l’ONU dans un moment où dans le monde l’alarme militaire est aussi grande que l’alarme écologique. Elle l’est en raison des guerres dont le Proche-Orient et l’Afrique sont l’épicentre, de conflits larvés entre puissances globales ou des ambitions de puissances régionales, de déchirements démographiques ou climatiques, de crises politiques, sociales, confessionnelles sur tous les continents, cela dans un monde surarmé que ce soit à des fins de défense ou de répression. (...)
Si l’on excepte, en 1950, la résolution 84 qui décide, avec l’intervention en Corée du Nord, du plus important conflit armé de la guerre froide sous le drapeau des Nations Unies et sous commandement des États-Unis, depuis 1948 et jusqu’au tournant des années 1990, le mode d’intervention de l’ONU consiste en des opérations de maintien de la paix pour surveiller le cessez-le-feu entre Israël et les pays arabes, opérations qui prennent le nom en 1956, lors de la crise de Suez, de « Casques bleus ». Casques bleus qui ont conduit, comme forces d’interposition ou d’intervention lors de conflits armés ou de guerres civiles, soixante et onze missions sur les cinq continents, dont seize sont en cours.
Certaines furent menées avec succès. La Namibie est citée en exemple, le Salvador et le Cambodge sont également considérés comme des initiatives positives. D’autres ont sombré honteusement dans l’anarchie, en Somalie ou le génocide au Rwanda. En Palestine, au Cachemire ou au Sahara occidental depuis quarante ou soixante-dix ans, elles participent à la perpétuation d’une situation de non-application des résolutions de l’ONU. S’ajoutent les missions rendues impossibles par le refus de l’une des parties de l’envoi de Casques bleus, lors de conflits en Arménie, au Sri Lanka, en Colombie…
Mais depuis le tournant des années 1990, s’est ajouté un autre niveau d’intervention, « droit d’ingérence humanitaire », puis « devoir de protéger », le Conseil de sécurité a autorisé ou couvert la première et la seconde guerre d’Irak, les guerres du Kosovo, d’Afghanistan, de Libye ou les opérations contre l’état islamique avec l’intervention de coalitions militaires. L’objet n’est pas ici de faire l’exégèse des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité et des interprétations dont l’Article VII de la Charte a été l’objet, mais de voir ce qui distingue les interventions des Casques bleus de celles conduites, dans le cadre de résolutions de l’ONU, par des coalitions militaires, essentiellement occidentales.
Première différenciation : le degré d’engagement militaire (...)
Les conclusions du rapport du groupe d’étude sur les opérations de paix, remis, en 2000, à Kofi Annan par Lakdhar Brahimi, sont accusatrices. On y lit : « Le Secrétaire général se trouve dans une position intenable. On lui présente une résolution du Conseil de sécurité qui précise, sur le papier, le nombre de militaires requis, mais il ne sait pas s’il disposera de ce nombre de militaires sur le terrain. Plus encore, les troupes qui finissent par débarquer sur le théâtre des opérations risquent d’être sous équipées : il est arrivé que des pays fournissent des troupes sans fusils, ou équipées de fusils, mais dépourvues de casques, ou munies de casques, mais sans moyens propres de transport ». Cet état de fait est à l’origine de pillages et de viols que l’administration onusienne couvre trop souvent. Commentant le rapport Brahimi, le Financial Times conclut : « De plus en plus, le fardeau retombe sur les pays pauvres. Puisque les pays industrialisés refusent de faire le sale boulot, ils pourraient au moins fournir davantage d’argent et d’entraînement aux forces de maintien de la paix. » Mais, au 30 juin 2015, 1,6 milliard de $ de contributions n’étaient pas acquittés par les États (...)
Chacun de ces aspects révèle une absence de volonté politique, la prévalence d’intérêts nationaux, le caractère secondaire des missions de Casques bleus pour les grandes puissances. Constat aggravé par l’échec militaire, humain et diplomatique des guerres menées par des coalitions internationales sous mandat de l’ONU, avec, comme conséquence, sur un arc allant de l’Indonésie au Nigéria, des situations de guerres à fort risque d’expansion. On dira que l’on compare l’incomparable, mais ce qui rend incomparable la guerre absolue dans toute son énergie écrasante menée par des coalitions militaires avec les interventions de troupes privées de moyens, ce sont des décisions du Conseil de sécurité, renouvelées et assumées.
Principe de lucidité, la guerre est une réalité, la paix une aspiration ; pour cheminer vers l’aspiration, il est des situations militaires ou idéologiques qui exigent le recours à la force, il est des conflits interétatiques, ethniques, confessionnels, de libération, qui nécessitent une interposition armée, il est des totalitarismes, dont la violence oblige à intervenir. (...)
L’ONU n’est pas un organisme virtuel, elle est le produit des gouvernements des États qui la composent. Ses carences sur la question de la guerre et de la paix, comme sur d’autres, résident dans son assujettissement aux politiques étatiques, à des ambitions géostratégiques globales ou régionales, des desseins de suprématie des principales puissances. Vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, l’échec des politiques suivies est dramatique et le système inégal des relations internationales n’est pas en mesure d’apporter une solution aux crises engendrées ; jusque dans les horreurs de la guerre, les inégalités prévalent entre les États et les peuples.
Une stratégie pour la paix et la sécurité internationales, jusqu’au recours à l’intervention armée, comme il est inscrit dans la Charte, n’est possible que par une révolution copernicienne au sein de l’ONU. Cela demande de mettre fin aux mandats de coalitions militaires de justiciers et au déploiement de troupes hétéroclites sous équipées et, comme le demande la Charte, que se crée une force onusienne multilatérale dans sa composition et son commandement, force qui soit en capacité d’interventions militaires, de négociations diplomatiques et de rétablissement de la paix. Entre la raison ou la barbarie, à chacun d’entre nous qui sommes sujets de l’Histoire, d’en influer le cours.