
Le quotidien du milliardaire russe Alexandre Pougatchev est décidément prêt à tout pour relancer ses ventes. Et dans l’attirail du rabatteur de chalands à moindre coût, on trouve, en bonne place, le sondage d’opinion auquel on fait dire n’importe quoi, et d’où l’on tire un bon gros titre bien accrocheur. Ainsi, vendredi 10 juin, la « Une » de France Soir est sans nuance : « L’armée dans les cités : les Français disent oui » . Et « les Français » l’ont dit à France Soir.
Le titre de « Une » est développé dans une double-page coiffée de ce titre fervent : « L’armée en banlieue ? Oui ! » Qui prononce ce « oui » ? « Les Français », les sondés, ou la rédaction de France Soir ? Un peu tout le monde manifestement, et ce n’est pas l’éditorial du directeur de la rédaction, Rémy Dessarts, fermement intitulé « Le temps d’agir », qui nous incitera à penser le contraire. Citant pêle-mêle les patrouilles militaires dans le cadre du plan vigipirate, l’aide apportée par l’armée pendant les catastrophes naturelles et… la présence française en Libye et en Afghanistan, il en appelle à la fin « des préjugés en tous genres » et répond par avance au sondage : « le niveau de délinquance et de violence qui règne dans les zones urbaines difficiles peut justifier que l’on songe à donner un coup de main de grande ampleur aux forces de l’ordre ». Et d’ailleurs, comme le « montre » le sondage, « les Français » pensent comme lui.(...)
L’armée en banlieue ? Avec France Soir, elle y est déjà !(...)
« les Français » sont en réalité une partie des 1013 « auto-sondés » par internet. Et pour faire parler « les Français » dans le sens qui l’arrange, France Soir en isole le résultat qui lui convient. Car à la lecture des résultats complets, affichés en page 3, on découvre que 81 % des sondés se déclarent d’accord avec la proposition « Ce n’est pas à l’armée mais aux forces de police d’assurer la sécurité publique ». Un chiffre massif, mais qui ne mérite manifestement pas la « Une ». Par ailleurs, nous dit-on, 63 % des sondés craignent que « le recours à l’armée [puisse] conduire à ce que la situation dégénère dans certains quartiers sensibles. » (...)
Depuis quand les sondages mesurent-ils l’enthousiasme de leurs sondés ? Et sur le site du journal, sans craindre la contradiction, une « vidéo-trottoir » qui interroge des passants les montre dans leur très grande majorité (cinq sur six) hostiles à l’intervention armée. Alors, pour ou contre, « les Français » ?(...)
Un titre de « Une » et une double page exemplaire du recours aux sondages sous le règne de l’information marchandisée : d’une « petite phrase », on fabrique un « débat » [2], ou mieux, une « polémique », essentiellement médiatique, qu’on entretient par un sondage, avant de passer à autre chose sans avoir rien dit d’autre qu’une pseudo-information montée en mayonnaise : « Les Français » veulent envoyer « l’armée en banlieue ».
(...) Wikio