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Le Monde Diplomatique
L’art de la guerre imbécile
Dans l’engrenage de la terreur
Article mis en ligne le 3 janvier 2016
dernière modification le 30 décembre 2015

Revendiquées par l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), les tueries du 13 novembre dernier à Paris ont entraîné l’intensification de l’engagement occidental au Proche-Orient. Cette région du monde paraît ainsi condamnée aux interventions armées. Pourtant, si la destruction militaire de l’OEI en Syrie et en Irak constitue un objectif sur lequel semblent s’accorder des dizaines de pays étrangers, des Etats-Unis à la Russie, de l’Iran à la Turquie, tout le reste les sépare…

l’invasion de l’Irak créa le chaos qui servirait d’incubateur à l’Organisation de l’Etat islamique (OEI).

Les tueries du 13 novembre à Paris sont en passe de favoriser les deux principaux objectifs de cette organisation. Le premier est la création d’une coalition d’« apostats », d’« infidèles », de « renégats chiites » qui viendra la combattre, en Irak et en Syrie pour commencer, en Libye ensuite. Son second projet est d’inciter la majorité des Occidentaux à croire que leurs compatriotes musulmans pourraient constituer une « cinquième colonne » tapie dans l’ombre, un « ennemi intérieur » au service des tueurs.

La guerre et la peur : même un objectif apocalyptique de ce type comporte une part de rationalité. Les djihadistes ont calculé que les « croisés » et les « idolâtres » pouvaient bien bombarder (« frapper ») des villes syriennes, quadriller des provinces irakiennes, mais qu’ils ne parviendraient jamais à occuper durablement une terre arabe. L’OEI escompte par ailleurs que ses attentats européens attiseront la méfiance envers les musulmans d’Occident et généraliseront les mesures policières à leur encontre. Ce qui décuplera leur ressentiment au point de pousser quelques-uns d’entre eux à rejoindre les rangs du califat. Extrêmement minoritaires, assurément, mais les janissaires du djihadisme salafiste n’ont pas pour objectif de gagner des élections. A vrai dire, si un parti antimusulman les remporte, la réalisation de leur projet avancera d’autant plus vite.

« La France est en guerre », a annoncé d’emblée le président François Hollande aux parlementaires réunis en Congrès le 16 novembre. L’Elysée cherche depuis longtemps à s’engager sur le front syrien et s’acharne à y impliquer davantage les Etats-Unis. Mais l’une des bizarreries de cette affaire tient au fait que M. Hollande veut livrer aujourd’hui la guerre à l’OEI en Syrie alors qu’il y a deux ans, en proie au même entêtement guerrier, il s’employait à convaincre Washington de « punir » le régime de M. Bachar Al-Assad. (...)

Comme l’expliquait le chercheur Pierre-Jean Luizard il y a quelques mois, tout s’est passé dans une première étape « comme si l’Etat islamique avait consciencieusement listé tout ce qui peut révulser les opinions publiques occidentales : atteintes aux droits des minorités, aux droits des femmes, avec notamment le mariage forcé, exécutions d’homosexuels, rétablissement de l’esclavage, sans parler des scènes de décapitation et d’exécution de masse (1) ».

Lorsque l’exhibition de ce catalogue macabre n’a plus suffi, ou plus tout à fait, l’OEI a décidé d’égorger un otage américain, en veillant à diffuser les images de la scène ; puis elle a organisé plusieurs fusillades meurtrières à Paris. La riposte des « croisés » ne pouvait plus tarder.

De fait, un chef d’Etat est presque contraint de réagir à des actions spectaculaires de ce genre. La pression politique l’invite à annoncer aussitôt quelque chose, y compris parfois n’importe quoi. Ordonner la destruction d’un hangar, d’un dépôt de munitions, le bombardement d’une ville. Afficher sa détermination. Promettre de nouvelles lois encore plus sévères, fustiger les « munichois ». Entrelarder ses phrases de termes martiaux, parler de « sang », et assurer qu’on sera « impitoyable ». Récolter des ovations debout, puis dix points dans les sondages. Au final, tout cela se révèle souvent déraisonnable, « imbécile » ; mais seulement quelques mois plus tard. Et ce piège de la surenchère semble de plus en plus irrésistible, en particulier en régime d’information continue, haletante, frénétique, quand aucun acte, aucune déclaration ne doit demeurer sans réplique immédiate. (...)

Déjà lourdement engagée en Afrique, la France n’a pas vocation à gagner cette « guerre »-là. Le fait que l’OEI souhaite l’attirer dans un tel piège n’oblige pas M. Hollande à s’y précipiter et à y entraîner une coalition de pays souvent beaucoup plus circonspects. Le terrorisme tue des civils ; la guerre aussi. L’intensification des bombardements occidentaux en Irak et en Syrie, qui crée autant de combattants djihadistes qu’elle en détruit, ne rétablira ni l’intégrité de ces Etats ni la légitimité de leurs gouvernements aux yeux de leurs populations. Une solution durable dépendra des peuples de la région, d’un accord politique, pas des anciennes puissances coloniales, ni des Etats-Unis, que disqualifient à la fois leur soutien aux pires politiques israéliennes et le bilan effroyable de leur aventurisme militaire (...)

Les attentats de l’OEI et la désastreuse politique étrangère de la France débouchent à présent sur une nouvelle « guerre ». Uniquement militaire, et donc perdue d’avance.