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L’art et la manière d’ignorer la question des médias
par Serge Halimi, le 22 avril 2015
Article mis en ligne le 29 avril 2015
dernière modification le 22 avril 2015

En 1985, à l’apogée de l’ère Reagan, John Galbraith publia un texte titré « Comment avoir la conscience tranquille face à la présence des pauvres ? » [2]. Dans cet article, l’économiste recensait les techniques permettant, face à la question des inégalités sociales, de ne rien entreprendre, mais sans se sentir coupable : invocation de l’« effet pervers » des solutions de redistribution proposées, obligation de recourir à un État qui démotive ceux qu’il aide, etc

Essayons d’entreprendre un exercice du même genre, mais sur le sujet qui nous réunit. La question serait alors : comment faire, quand on est un intellectuel, un chercheur, un universitaire, pour ne pas engager le combat pour les médias tout en sachant, la plupart du temps, qu’il est décisif, y compris dans l’univers des intellectuels ? Quand on est un intellectuel, un chercheur raisonnablement instruit de ce dont il s’agit, comment feindre de ne pas voir ce qu’on a vu et ce qu’on voit, avec d’autant plus d’application qu’on y a souvent intérêt ? Certains d’entre nous se reconnaîtront peut-être dans l’énoncé des justifications qui vont suivre et peut-être même, moi compris, avons-nous déjà eu recours à plusieurs d’entre elles à la fois. Mais on reproche souvent, à juste titre, aux journalistes leur mauvaise grâce à se soumettre à tout exercice d’« objectivation », d’« auto-analyse » ou, pour le dire plus simplement, de retour critique sur leurs comportements. La même répugnance à l’autocritique ne saurait-elle caractériser les universitaires, aussi éclairés que prompts à dispenser aux autres leur vérité sur le monde social ? [3]

LES JUSTIFICATIONS LES PLUS FRÉQUEMMENT ENTENDUES PAR LES JOURNALISTES

« On ne connaît pas bien ces sujets-là. » (...)

« Tout ce que vous dites, on le sait déjà. » (...)

« Les médias, c’est plus complexe que votre théorie du complot » (...)

« Ça a toujours existé. » (...)

« Moi, je connais quelqu’un qui se bat dans sa rédaction. » (...)

« Je ne peux pas risquer de griller mon terrain de recherche en dévoilant ce que j’ai appris. » (...)

« La science ne doit jamais paraître ‘‘militante” » (...)

« Ce n’est pas scientifique de donner des noms : ça tape à côté. » (...)

POURQUOI ON NE VEUT PAS VOIR CE QU’ON VOIT

Par intérêt (...)

Par l’effet d’une peur légitime. (...)

Par souci de « faire connaître ses idées ». (...)

Par excès de confiance en soi et par refus de réfléchir à la signification collective des choix individuels. (...)

Par sous-estimation de l’importance de la question des médias. (...)

Par lassitude (...)

Non contents de cesser de se battre, certains ont rejoint en rechignant la troupe de ceux qui défèrent aux logiques et aux contraintes de la médiatisation. Les mondes de l’université et de l’intelligentsia n’étant pas beaucoup plus purs, moins sensibles que les autres, à la concurrence et aux crocs-en-jambe, chacun peut toujours, s’il le souhaite, justifier ses compromissions par celles du collègue, du rival, et par le désir de ne pas trop leur abandonner le terrain. Ceux qui ont renoncé en veulent parfois aux autres qui ne capitulent pas parce qu’ils estiment encore que « ce n’est qu’un début, continuons le combat. »