
Lundi 15 avril 2013, 14h50, heure locale. En une fraction de seconde, l’atrocité absolue vient éclipser la jubilation collective ; les cris de terreur supplantent la clameur enjouée, en un battement de coeur. Une première déflagration retentit. Puis, une deuxième. Deux bombes artisanales viennent d’exploser en pleine foule, semant le chaos à quelques mètres de l’arrivée du marathon de Boston. D’un souffle, trois vies sont emportées et une centaine de personnes blessées1.
L’horreur de cet évènement envahit la Toile et ses réseaux sociaux.
Il ne faudra que quelques minutes pour que les témoignages de compassion affluent des quatre coins du monde occidental, et même au-delà. (...)
Ce même lundi, 55 Irakiens meurent dans une série d’attentats sanglants2. On déplore également près de 300 blessés. Et ces chiffres ne sont valables que pour la journée du lundi. Depuis, des attentats dévastateurs continuent de déchirer le pays du Tigre et de l’Euphrate3. Pourtant, force est de constater que la même vigueur émotionnelle n’a pas été déployée par les chantres de l’humanisme, si éloquents au sujet de l’attentat de Boston. Les réseaux sociaux sont muets, et pour cause, les médias relayent l’information avec bien moins d’insistance, lorsqu’ils le font. Une telle disparité a de quoi choquer. (...)
Ce n’est pas simplement le déséquilibre dans l’exposition médiatique entre les attentats de Boston et d’autres évènements tragiques qui est ici en cause, mais également une différence de résonance chez le citoyen occidental lambda, eu égard à son identité ethnocentrée. En d’autres termes, on est certainement en présence d’un phénomène qui relève de la proximité, voire de l’identification, culturelle. Il est, pour un Européen, plus aisé de se mettre dans la peau d’un Américain, lequel a un mode de vie relativement similaire. “Ça aurait pu être moi”, songe-t-il en plein tourment. A l’inverse, il se sent émotionnellement détaché de ce qu’il se passe en Irak, un pays dont il ne sait finalement rien. (...)
un troisième facteur doit être souligné. Pour nombre d’Occidentaux, l’attentat de Boston peut revêtir une portée émotionnelle particulière en raison de l’anormalité d’une telle tragédie à leurs yeux. Impensable ! Pétris d’opinions préconçues à l’égard des “barbares du Sud”, ou simplement lassés par d’autres évènements pourtant dramatiques en raison de leur fréquence, ils ont tendance à trouver l’acte terroriste de Boston plus choquant que ceux qui ont endeuillé l’Irak, ces derniers étant “au fond” le pain quotidien des Irakiens. Mais évidemment, la récurrence de tels évènements dans un pays n’en atténue en rien la tristesse, bien au contraire. (...)
Malgré l’injustice criante de cette compassion sélective, l’attentat de Boston n’en demeure pas moins un véritable drame, face auquel il est légitime d’être bouleversé. Nous pourrions, devrions, toutefois en tirer des leçons. C’est précisément cette empathie “intra-Occident” qui pourrait, devrait, servir de point d’entrée à une empathie plus large, plus juste. S’il est regrettable qu’il faille qu’un pays du Nord soit frappé pour que l’on s’émeuve dans les chaumières occidentales, cet élan compassionnel contient les germes d’une véritable commisération humaniste, universelle et globale. Une fois la sensibilité éveillée, une fois la peine partagée, les souffrances d’autrui, qui que ce soit, ne peuvent nous laisser indifférents. Notre compassion ne devrait pas être sélective.