
Un texte qui parle des sentiments que façonnent le traitement des attentats par les médias."Les infos tombent en direct sur les écrans, on suit l’assaut minute par minute. La course à l’audience produit une surenchère de détails jusqu’à la nausée. Entre la télé du salon et son petit ordinateur voila que noyé sous les détails on commence à s’halluciner. Cet attentat que j’ai suivi sur mes multiples écrans, je l’ai vécu."
Dans les mythologies qui se dessinent à travers les différents médias une certitude se dégage, il n’y a pas de salut, et les premiers ne seront jamais les derniers. A longueur de temps le ronron des machines nous abreuve de nouvelles, des petits bouts d’histoires parfois sous forme « d’analyse » qui plus que de nous renseigner sur l’état du monde, fabrique du sentiment à partir des passions qui nous traversent. L’information c’est cette sélection d’événements plus où moins tragiques qui auraient vocation à être représentatifs de ce qu’est le monde. C’est le petit théâtre quotidien de la résignation. (...)
L’attentat est dans le monde post-sovietique la plus haute expression de la marchandise médiatique. Elle a des salauds pour origine, comme dans un bon film ainsi que l’aspect soudain et meurtrier de la catastrophe naturelle, celui qui offre nombre d’images spectaculaires. On peut dire que c’est dans cette triste conjoncture de caractéristiques qui fait de l’attentat un excellent produit médiatique que se trouve toute la puissance du terrorisme (...)
Au fur et à mesure que j’engraisse les différents médias que j’utilise, je me sens de plus en plus victime de ce qui se passe. C’est que cette nausée qui nous prend, c’est une grande vague d’empathie. Soudainement la souffrance des autres s’étale en grande lettre sur les boulevards. Ce que l’empathie nous pousse soudain à ressentir ce n’est pas seulement la peur, c’est la panique du chaos généré par l’attentat qui se répercute à travers les mots et les images. Soudain ces vies qui m’étaient lointaines et étrangères me deviennent familières. Les journaux étalent dans leurs colonnes des portraits-hommage au milieu de témoignages de survivants. Au fur et à mesure que je rencontre ces personnes, qu’elle me deviennent familières je me reconnais en elles, je m’y transfère. Dans ce processus la panique qui au début était médiatisée par les journaux devient ma panique. Je me l’approprie entièrement. Il ne manque presque rien pour que les agresseurs triomphent. Me voilà prêt à renoncer à chaque portion de liberté pour mettre un terme à cette terreur. Dans les contes c’est en général le moment où le diable vous offre un moyen de troquer le salut de votre âme contre le salut de votre corps. Dans la vie il semble que l’on a de toute façon déjà signé ce pacte depuis longtemps. (...)
A l’autre bout du monde, une population terrorisée vit sous les bombes et rencontre quotidiennement le diable de notre conte.