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L’autorité éducative
Compte-rendu de la conférence d’Eirick Preirat philosophe, professeur de sciences de l’éducation au sein de l’université de Lorraine Invité à l’occasion de l’Assemblée Générale de Rénovation. Lundi 8 juin 2015
Article mis en ligne le 14 juin 2015
dernière modification le 10 juin 2015

Qu’est-il entrain d’arriver à l’autorité éducative ?

I. 5 remarques liminaires :

1. L’Autorité n’est pas le Pouvoir.

Si Autorité et Pouvoir s’inscrivent dans un rapport de dissymétrie. L’auctoritas n’est pas la potestas1. Dans l’effectivité de la pratique éducative, l’Autorité et le Pouvoir sont liés, pour ne pas dire enchevêtrés.
l’Autorité attend de celui qui est en position basse une forme d’obéissance différente de celle attendue par celui qui exerce un Pouvoir. Une obéissance (de l’ordre de l’influence) qui n’est pas la soumission (de l’ordre de la contrainte).
Michel Foucault dit qu’il ne faut pas confondre l’influence qu’on exerce avec le pouvoir qu’on impose.

2. l’Autorité est nécessaire.

La question « pour ou contre l’autorité ? » dans le débat éducatif n’a strictement aucun sens. Éduquer et autoriser sont les deux faces d’un même processus ; éduquer, c’est autoriser à grandir, à expérimenter, aimer, découvrir, recommencer, se tromper.
L’Autorité est un concept méta-éducatif qui n’est pas contraire à la conquête de l’autonomie, mais l’accompagne.

3. le fondement de l’Autorité.

Ce sont les savoir-faire, les œuvres, la culture, les techniques, les codes sociaux. C’est parce qu’il y a de l’autorité qu’il faut enseigner, éduquer. L’autorité de l’éducateur est là pour faire entrer le nouveau venu dans l’univers du monde symbolique qui définit l’humanité. Pour Locke, l’éducateur est celui qui , pour le nouveau venu, lui ouvre doucement la scène du monde.
Ce que les détracteurs modernes de l’Autorité oublient, c’est qu’on ne s’autorise jamais seul à être contemporain du monde : toute relation d’Autorité présuppose une tiercéité. Une conscience partagée qu’on ne se trouve pas, l’un et l’autre, à la même distance de cette tiercéité. L’Autorité se dégrade toujours en une vulgaire contrainte quand il n’y a pas de jardin à partager.

4. la relation d’autorité est une relation plus spécifique.

Elle n’est réductible ni à une relation manipulatrice ni à une relation de pouvoir. L’Autorité nous préserve de la manipulation et de la coercition brutale ; Cette relation présente trois caractéristiques :

 c’est une relation indirecte : l’Autorité n’est pas une « action sur » l’autre, mais une activité qui vise à susciter en l’autre une activité. Cela implique une nécessaire épaisseur temporelle pour se déployer (on n’est pas là dans la séduction coup de foudre).
 la reconnaissance : c’est la grandeur et l’extrême faiblesse de l’Autorité ; une influence qui, pour se déployer, requiert du bénéficiaire d’en être reconnue. Selon Hannah Arendt, une forme d’obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté.
Auctoritas vient de auctor (auteur), issu de augerer (augmenter)2
 l’Autorité a un terme. Nul n’a vocation à être ad vitam aeternam le professeur. La relation de pouvoir, par contre, a vocation à perdurer, elle insiste sur la dissymétrie. Tout éducateur travaille à sa propre mort symbolique.

5. le processus d’autorisation.

On en parle peu. Il s’agit de la dialectique de l’accompagnement et de l’interdiction. Il n’y a pas d’accompagnement dans le grandir sans interdiction. Il n’y a pas d’autorisation sans interdiction. C’est un processus continu, progressif, qui s’efface à mesure qu’on autorise.

Autorité – Dissymétrie – autorisation – reconnaissance – Tiers – Temps : dans cet ensemble de mots, la question est tout entière inscrite.

II.Comprendre l’érosion de l’autorité éducative.

S’agit-il d’érosion ou de crise de l’Autorité ? Malgré notre dilection actuelle pour le mot crise, le terme érosion est préférable. Dans « crise » il y a une idée d’urgence, alors qu’ « érosion » implique transformation, temporalité. De plus, le mot crise est totalement contaminé idéologiquement, il cristallise des crispations idéologiques.

Nous ferons trois lectures :

  • une lecture sociologique : le scénario de la perte de confiance
  • une lecture philosophique : le conflit de valeurs
  • une lecture anthropologique : la primauté du présent dans nos sociétés.

1. Lecture sociologique.

Partons de l’école. L’affaiblissement de l’Autorité des professeurs peut être lue comme un affaiblissement de l’École en tant qu’institution ; une perte de crédit de cette institution comme instance de promotion. Il n’y a pas si longtemps, avec le Bac on était assuré de faire des études supérieures, puis assuré d’avoir un emploi. L’école d’aujourd’hui a plus de mal à tenir cette promesse. Le professeur ou le CPE chahuté l’est au titre d’une institution qui ne tient pas ses promesses, qui déçoit, dont on n’a plus grand-chose à attendre. Les classes sociales les plus paupérisées ont inversé leur rapport à l’institution scolaire, qui au lieu d’être un rapport d’accession à un meilleur sort est devenu un rapport de désenchantement et de désillusion. L’Autorité du professeur n’est pas simplement gagée par sa compétence professionnelle, mais par son appartenance à l’Institution.
Quand on est dans une Institution notre Autorité est doublement gagée à chaque fois.
Ce qui arrive à l’École, c’est la même chose pour toutes les Institutions. Les Institutions éducatives – comme Rénovation - ne sont plus d’emblée garanties par la grandeur de leur mission ; on peut toujours en rêver, mais comme le dit Descartes « quand on rêve, on ne pense pas ».
Ce scénario peut s’étendre à un parent, peut-être même à tout adulte. L’image de l’adulte est entrain de se brouiller. C’est difficile d’être adulte quand les conditions professionnelles, matrimoniales, sociales, deviennent fluctuantes.

2. Lecture philosophique.

(cf. les travaux de M.Gauchet, Bonnaud et Eirick Prairat dans la revue Esprit années 2000)

L’érosion de l’Autorité est due à la pénétration des valeurs liées à l’idéal démocratique au sein des sphères pré-politiques – dont ces espaces qui fonctionnent à la dissymétrie en raison de leur vocation éducative (famille, école…). La valeur « égalité » entrant dans les espaces pré-poliques entraîne l’érosion de l’ Autorité.

Dès lors que les rapports d’altérité s’effacent, les rapports d’autorité s’affaiblissent. C’est cette question de l’autorité qui clive le monde des professeurs, ce n’est pas celle de la violence, sur laquelle tous sont à peu près d’accord. La question de l’autorité est terriblement clivante :
entre ceux qui disent qu’il faut « sanctuariser l’Ecole » - ce qui est illusoire dans une société gagnée par « la passion de l’égalité » (Tocqueville)
et ceux qui disent « il faut être hospitalier aux valeurs de la modernité : « égalité » « liberté » ; mais en même temps il faut maintenir la dissymétrie nécessaire pour éduquer – il n’y a pas d’éducation sans dissymétrie.
C’est ce qui se passe dans les familles aujourd’hui. Comment donner la parole aux enfants , leur reconnaître des droits légitimes, leur offrir des espaces d’expérimentation, d’invention, tout en maintenant la dissymétrie ? On constate une fracture

entre les familles qui ont des ressources relationnelles, culturelles, langagières, et celles qui en sont plus démunies et sont bousculées par des jeunes qui ont pris le pouvoir.

3. Lecture anthropologique.

Nous sommes dans une société hyper moderne.
 La première modernité c ’est celle des Lumières : optimiste, croyant au progrès de la raison, promettant des lendemains qui chantent.
 La seconde modernité, celle d’aujourd’hui, est une modernité inquiète, passée du temps valorisé au temps rétréci à la dimension du présent. Nous sommes coincés entre un passé qui ne nous parle plus beaucoup, qui a perdu toute transcendance, toute puissance de légitimation, et un avenir vidé de toutes ces grandes espérances des Lumières. L’homme post-moderne vit dans un temps resserré et ce sacre du présent fragilise l’éducateur. Car le Temps, c’est la matière, l’étoffe de l’Autorité. C’est l’antécédence du Père, de la Mère, qui leur donne l’Autorité. « là où je suis, moi professeur, où je me trouve et où tu ne te trouves pas encore, un jour tu accéderas » : voilà la formule de l’Autorité. Qui marque en creux dans nos sociétés une difficulté à transmettre. La culture des pères et des mères a tendance à s’estomper devant le culte de l’imitation. Il y a une pluralité d’autorités dans nos sociétés : la consommation, la mode, les médias, la publicité, qui font une concurrence déloyale à l’Autorité éducative, car elles sont sans visage et peuvent toujours se dérober.

III. Alors que faire pour relégitimer l’Autorité éducative ?

Si on ne veut pas sombrer dans une désespérance absolue.

1. une attitude individuelle :

il n’y a d’autorité pour un éducateur que dans l’affirmation ostensible, visible, de quelques grands principes : Respect – Justice – Exigence
C’est cette fidélité qui transforme l’attitude de l’éducateur en Autorité éducative.

2. une véritable solidarité professionnelle :

il faut créer une consistance du collectif et des équipes éducatives.

3. Créer des « oasis de décélération » (Nietzsche) :

le sacre du présent est aussi le sacre de la vitesse. Les lieux de l’éducation, famille, école, ITEP, ont vocation à être des oasis de décélération.


Débat

Question : pourquoi qualifiez-vous d’autorité ce qui vient de la publicité, des médias etc. ? Cela semble contradictoire avec votre définition de l’Autorité ?

E.P : En effet, il s’agit plutôt d’une influence.

Question : je vous remercie pour cet exposé extrêmement éclairant. Je vois très bien le matraquage à mort qu’on a dans toutes les chaînes et qui crée un climat social : au bout d’un moment, on change de radio, mais on n’a toujours pas le choix. L’omniprésence du Présent, la manière dont on en parle, c’est un champ qui vient d’autorités que sont la Presse, les Médias

E.P : les médias ont la responsabilité du tri qui devrait être fait entre les faits divers et les faits qui sont des marqueurs de notre société.

Question : à propos de la publicité, vous avez parlé d’autorité, pourquoi pas plutôt de pouvoir ?

E.P : oui. Je n’aurais pas dû. Toutefois c’est de manière analogique avec les ados qui se retournent vers des « autorités » beaucoup plus répressives que sont les pairs.

Remarque : c’est intéressant de comprendre qu’on passe des autorités légitimes à d’autres qui n’en sont pas.

Question : Quelle différence faites-vous entre autorité et cadre ? Est-ce qu’on peut cadrer les adolescents sans avoir autorité ?

E.P : le cadre, c’est un ensemble de règles explicitées, de rituels, de routines qui se réitèrent et on une fonction éminemment structurante. L’Autorité est référée à des Personnes. Le cadre ne fonctionne que s’il est au service d’un projet. Il n’a pas de vertu en soi.

Question : Dans les rapports écrits par les différents établissements de Rénovation, il est noté que c’est le cadre qui est thérapeutique, l’organisation de l’ensemble. Par rapport à l’Autorité, dans mon expérience d’éducatrice et de formatrice, il m’a fallu répondre à ces questions de l’autorité. Je n’ai jamais trop aimé ce mot. Ce qui me convenait c’est d’utiliser le mot « être bienveillant », dans les deux sens du terme :
 la capacité à être en relation avec l’autre, écoute, respect
 dans le même temps il y a « veiller bien », de ma place, dans ma fonctions, dans la mission de l’établissement.
Si l’autre comprend que je suis un peu en capacité à être bienveillante avec lui, et qu’en même temps je suis à ma place, le travail peut se faire.

E.P : c’est un très beau mot « Autorité », il vient d’ « auctor » : parler en tant qu’auteur, autoriser l’autre à être auteur à son tour. Ce mot a été maltraité et on a abouti à des amalgames. C’est comme la sanction, qui devient totalement liée à la maltraitance : on a « jeté le bébé avec l’au du bain ».
A « bienveillance » ou « sollicitude » je rajoute :
 Justice
 Tact : ce n’est pas seulement une habileté relationnelle, une civilité, où ce sont les usages qui sont concernés. Le Tact se manifeste là où il n’existe aucun usage. Il s’invente dans son effectivité même, et renvoie à la bonne parole appropriée. Une éthique de la parole devient possible à partir du tact. On le retrouve aussi dans la psychanalyse « le tact est une vertu essentielle dans la cure analytique). Le monde le l’Ecole l’ignore…

Question : Je suis très intéressé par votre allusion à M. Gauchet et aux idéaux démocratiques. Ce qu’on observe aujourd’hui ne serait-il pas lié à ce que la forte précarité alimentaire a disparu de nos sociétés ?

E.P : je ne sais pas répondre à votre question. L’idée d’égalité est une très vieille idée sans doute liée au christianisme (« vous êtes tous enfants d’un même Père »). Elle a pris une forme philosophique dans l’œuvre de Kant, à laquelle on est encore très attachés. Kant distingue :
 les réalités qui ont un prix, qui peuvent entrer dans un jeu d’échanges généralisés
 les réalités dans l’humain, qui n’ont aucun prix. La dignité est la valeur invariable de chaque être humain, indépendamment de tout attibut (avoir, statut etc). on veut à juste titre que l’égalité des êtres humains soit respectée.

Kant dit aussi, dans son Traité sur l’Éducation (1803), « éduquer c’est libérer, mais je ne peux pas rendre libre l’autre si je ne me sers pas de la contrainte ». Ce paradoxe est constitutif de la relation éducative, et rend bien compte de la difficulté à éduquer.

Question : l’Autorité permet d’autoriser à aller vers le haut, en s’appuyant sur un cadre, un projet. Mais je n’ai pas entendu le terme de Désir

A.P : je vais terminer par une pirouette : il faut laisser du manque !


Compte-rendu : Marie-Claude Saliceti, membre du conseil d’administration de Rénovation.

Association Rénovation