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L’avenir du low-tech entravé par le dogme de la croissance
Article mis en ligne le 31 août 2021
dernière modification le 30 août 2021

Les low-tech, qui constituent une orientation technologique indispensable, peinent à sortir de la marginalité. En cause, leur difficile compatibilité avec les principes de croissance et de rentabilité ainsi que l’emprise qu’ont les hautes technologies sur nos manières d’imaginer le futur.

Seul à bord de son catamaran aux allures de laboratoire, l’aventurier et ingénieur Corentin de Chatelperron montre à la caméra l’une de ses créations : une lampe solaire en forme de cube transparent, fabriquée à partir d’une bouteille d’eau, de planches de bois et de quelques composants électroniques recyclés. Dans le reste de sa vidéo, postée sur la chaîne YouTube du Low-tech Lab, le sympathique trentenaire à la chevelure brune et bouclée montre patiemment comment fabriquer cet objet à la fois « utile, durable et accessible à tous ». En un mot, « low-tech ».

Formé par antonymie avec le « high-tech », ce terme désigne des innovations sobres, agiles et résilientes, devant contribuer à l’émergence d’une société plus économe en ressources et en énergie. Sur Internet, les tutoriels pullulent : on y apprend comment construire des cuiseurs solaires, des éoliennes domestiques et des « frigos du désert » (qui permettent de conserver les aliments sans recours à l’électricité) grâce à des matériaux simples et à une bonne dose d’ingéniosité. Malgré les nombreux livres, hors-séries et documentaires consacrés ces dernières années au low-tech, force est pourtant de constater que la démarche demeure marginale. (...)

En dépit des nuisances environnementales qu’ils génèrent, les balances, montres et distributeurs de croquettes connectés restent plus populaires sur les étals et dans les placards que les inventions low-tech.

Comment expliquer que ces alternatives pourtant prometteuses sur le plan écologique peinent tant à s’inscrire durablement dans notre paysage technique ? Pour Philippe Bihouix, le premier frein au développement de la low-tech est économique : « Consommer des ressources ou émettre des gaz à effet de serre reste moins cher que de mobiliser du travail humain, ce qui bloque l’émergence de beaucoup de solutions de réparation et de formes artisanales de travail. »

Des techniques qui ne vont pas dans le sens de la croissance et la rentabilité (...)

Philippe Bihouix évoque également des freins réglementaires, notamment dans le secteur de la construction. Pour ce qui est de la rénovation thermique, les aides financières accordées par l’État sont par exemple conditionnées au respect de normes par les fabricants, dont ne peuvent bénéficier certaines alternatives low-tech. « À partir du moment où le système est autoconstructible, que ce soit un poêle à bois ou un panneau solaire thermique, il n’entre pas dans les normes car il ne peut pas être testé par un organisme agréé à la fin, pour le moment en tout cas », dit Quentin Mateus, coordinateur des enquêtes du Low-tech Lab. Il précise que les niveaux de sécurité et de performance de ces équipements énergétiques peuvent pourtant être « aussi bons, voire meilleurs » que ceux produits par des industriels. (...)

Pour Sandrine Roudaut, autrice de L’utopie, mode d’emploi et corédactrice d’une note de La Fabrique écologique sur l’innovation low-tech, les raisons de l’indifférence d’une large partie de la population à l’égard de ces alternatives sont à chercher du côté de notre imaginaire collectif. « Tous nos scénarios du futur sont confisqués par la high-tech, déplore-t-elle. Quand on parle de low-tech, on a l’impression qu’il s’agit d’un retour en arrière. L’idée de progrès est forcément associée à plus de numérique, plus de technologie, au lieu de repenser le scénario d’usage et le rendre plus frugal. »

En tant qu’éditrice aux éditions La mer salée, Sandrine Roudaut constate de près à quel point la high-tech exerce une emprise sur nos imaginaires. (...)

Imaginer une société low-tech désirable

L’enjeu, selon elle, est donc de permettre au grand public de visualiser à quoi pourrait ressembler une société low-tech. « Une des raisons pour lesquelles la low-tech n’émerge pas, c’est que l’on ne la voit pas dans les récits ni dans les films. Tout le monde associe la fin de notre monde high-tech à un monde survivaliste dans lequel on va se taper sur la figure. Il faut montrer un monde différent. » Dans son roman Les Déliés, Sandrine Roudaut a ainsi décidé de faire la part belle à ces innovations. (...)

Pour le moment, la démarche reste absente des programmes de la grande majorité des formations d’ingénieurs. « Les écoles ne voient pas la low-tech au niveau industriel, observe Baptiste Eisele, étudiant à l’École nationale supérieure des Mines d’Albi-Carmaux et membre du collectif Pour un réveil écologique. Il y a un fossé entre ce que nous devons faire pour répondre à l’urgence écologique et ce que l’on nous enseigne. » (...)