
Le projet de barrage de Caussade, dans le Lot-et-Garonne, a remis en lumière la conflictualité de l’accès à l’eau entre défenseurs de l’environnement et agriculteurs irrigants. Pourtant, l’État avait mis en place, après la mort de Rémi Fraisse, un cadre censé favoriser le « dialogue » et la « co-construction » autour de cette question.
avec la croissance démographique de ces zones (50.000 habitants en plus par an en Occitanie, 20.000 en Nouvelle-Aquitaine). « La situation globale est, à ce jour, déséquilibrée : le niveau des prélèvements réalisés pour les différents usages n’est plus compatible avec l’objectif de maintien des débits objectifs d’étiage adaptés au bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques », note le même préfet.
Mettre en place une concertation selon les modalités d’un « projet de territoire »
Parmi les plus gros consommateurs d’eau en été : les agriculteurs irrigants, qui pompent dans les cours d’eau et nappes phréatiques. Leurs pompages représentent 75 % des prélèvements en été, contre 10 à 15 % pour les usages industriels et de production d’eau potable, toujours selon le préfet de bassin. Sous couvert d’adaptation au changement climatique, ces agriculteurs cherchent encore aujourd’hui à augmenter les surfaces irriguées, ou à s’assurer des réserves d’eau pour continuer à irriguer malgré les épisodes de sécheresse, grâce à des barrages (comme à Sivens) ou des bassines (comme dans le Marais poitevin).
L’irrigation attire car elle est rémunératrice : que ce soit pour le maïs (souvent vendu à l’exportation), les cultures maraîchères ou de semences. Elle permet par ailleurs aux agriculteurs de travailler sous contrat avec de grosses entreprises intermédiaires qui, rassurées par la présence de réserves d’eau, achètent par avance les productions. À l’inverse, environnementalistes et partisans d’une autre agriculture critiquent l’appropriation d’un bien commun pour le bénéfice d’une minorité, alors que d’autres cultures moins exigeantes en eau pourraient être menées.(...)
Selon Marc Laimé, spécialiste de ces questions et coauteur, avec Grégoire Souchay, de Sivens, le barrage de trop (aux éditions Le Seuil/Reporterre), le « projet de territoire » requiert des critères tellement stricts qu’il représente un réel frein à la réalisation des retenues. « Alors qu’il a été inventé par des pro-irrigation, le concept de projet de territoire s’est retourné contre eux. Maintenant c’est mission impossible : le processus représente des années de travail, c’est un système bureaucratique terrible », estime-t-il.
« C’est un devoir, une nécessité, une conviction que de le réaliser nous-mêmes ce lac »
Mais sur le terrain, les projets de retenues sont l’objet de rapports de force et d’oppositions frontales. (...)
En août 2018, autour du projet de « bassines », en Poitou-Charentes, le président de l’association Nature Environnement 17 a été menacé par des irrigants, son nom tagué sur une route du Marais poitevin, tandis que du matériel d’irrigation était détruit par des opposants aux bassines.
Si ces situations font partie des extrêmes, elles montrent combien le dialogue tant recherché est difficile sur ces sujets.(...)
Du côté des agriculteurs irrigants, on cherche à minimiser l’importance des projets de territoire : « Ils sont comme un outil d’aide à la prise de décision. Après, le politique a son rôle à jouer, il doit prendre la décision », estime Luc Servant, président de la chambre d’agriculture de Charente-Maritime et membre de la mission Bisch. Lui-même agriculture irrigant et promoteur de bassines en Charente-Maritime, il est dans le viseur de Nature Environnement 17, qui a obtenu gain de cause par deux fois déjà.
Qu’en est-il donc du rôle de l’État ? Dans ses annexes, le rapport Bisch contenait des « notes de contexte » signées par les préfets de bassin. Censurées lors de la publication officielle, c’est FNE qui les a rendues publiques. Or, dans l’une d’elles, le préfet du bassin Rhône-Méditerranée-Corse soulignait justement le « manque de moyens pour étudier et contrôler les niveaux de prélèvements ».
« L’État fait la sourde oreille, estime Florence Denier-Pasquier. En tant que force citoyenne organisée et mobilisée dans la rue, devant les tribunaux, et sur l’argumentaire, on essaie de le faire bouger dans le sens de l’intérêt général. »