
Contribution à la concertation « Refondons l’école de la République » lancée le 5 juillet 2012 par M. Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale
Si la refondation de l’école est nécessaire, c’est que sa réforme, conduite invariablement depuis une trentaine d’années, a échoué. Il n’est que trop vrai que l’école « a été maltraitée dans l’intelligence même de ses missions »1. Le constat d’échec est désastreux, mais il ne décrit en rien une école républicaine, car il dresse l’état des lieux de l’école des réformateurs, du rapport Legrand des années 1980 au rapport Apparu-Descoings des années 2000, en passant par le rapport Attali des années 90, pour ne citer que quelques jalons.
Cette école réformée repose sur l’idée selon laquelle l’école serait faite pour la société, qu’elle aurait pour mission principale l’adaptation sociale (...)
Il n’est pas rare et il est arrivé assez souvent dans l’histoire que des principes contraires à la liberté soient invoqués au nom de « la société ». En offrant aux élèves un dépaysement libérateur, une école républicaine devrait plutôt se détourner d’un modèle imposé par « la société ». Aucun rassemblement social n’ayant de légitimité par lui-même, c’est à la nation composée des citoyens et non à « la société » de dire ce qu’elle attend de l’école.
Les projets d’établissement, l’ouverture systématique à l’environnement, la critique de l’encyclopédisme, le discrédit jeté sur la notion de discipline scolaire (aux deux sens du terme, lesquels sont étroitement liés), le harcèlement des professeurs par une hiérarchie qui encourage le mépris des savoirs, la disqualification de leur parole par des autorités étrangères à leur mission d’instruction, les passages de classe quasi-automatiques, les pressions en faveur de l’abolition des examens, l’imposition d’une pédagogie comportementale par projets, objectifs et « compétences » au détriment d’une pédagogie sur programmes centrée sur les connaissances : depuis trente ans, nombreux furent ceux, dont je fais partie, qui ont dit et redit en quoi tout cela, sous des apparences libérales et même souvent en accord avec le néo-libéralisme, est contraire à la liberté. (...)
Faudra-t-il encore redire pour la énième fois pourquoi une école qui prend pour règle les faits de société - quand ce ne sont pas les exigences du marché - une école qui loin de réduire les inégalités culturelles et sociales s’appuie sur elles pour élever les « différences » en dogme et segmenter l’humanité, une école qui sacralise la proximité à laquelle il conviendrait au contraire de soustraire les élèves quel que soit leur milieu d’origine, une école qui refuse la notion de sanction et l’exigence faite à chaque élève d’atteindre le plus haut niveau dont il ou elle est susceptible, est au mieux une garderie sociale et devient rapidement un instrument de discrimination et de soumission ? (...)
L’école doit avoir le courage de considérer que tous sont également aliénés par leur environnement quel qu’il soit, que tous ont besoin, pour commencer, pour être attentifs, de calme et d’un moment de soustraction au tourbillon social. Cela suppose des moyens, d’autant plus importants que les inégalités à combattre sont grandes, mais cela suppose aussi une volonté ferme et des directives claires, sur programmes nationaux. (...)
L’école doit avoir le courage de différer les demandes pour accéder au désir, lequel est de devenir grand et autonome, elle doit avoir le courage de dire si un exercice est réussi ou manqué parce que chacun doit connaître sa mesure et en a besoin pour progresser, le courage de penser que rien de ce qui est beau, profond, sérieux, et de ce fait même difficile, ne saurait être ennuyeux. (...)
la République ne peut pas imposer de pédagogie ni d’éducation officielles puisque l’école n’est pas obligatoire, mais qu’elle ne doit pas non plus le faire au sein de l’école publique gratuite et laïque dont elle a la charge, sous peine d’aller au-delà de sa mission et de n’être plus laïque. (...)
L’école républicaine n’est pas faite pour la société. Davantage : c’est parce qu’elle est faite par la République qu’elle ne doit pas être faite pour la République. L’école républicaine n’a pas d’autre finalité que la liberté et c’est en ce sens qu’elle s’accorde avec l’idéal républicain, car la République repose sur l’indépendance de ses citoyens et l’assure. L’éducation à la citoyenneté n’est qu’un prêchi-prêcha si elle n’est pas conditionnée par l’instruction qui donne accès à l’indépendance et si elle se contente de célébrer des « valeurs »5 si on la réduit à « l’apprentissage du pacte républicain » par « transmission de codes »6. Disjointe de l’instruction raisonnée et de l’exposition critique des principes qu’elle promeut, une éducation publique n’est pas vraiment libre et se rapproche d’un endoctrinement. (...)
Libérer c’est d’abord donner à chacun les moyens de son indépendance intellectuelle lui permettant de se soustraire à la tutelle directe d’autrui et d’exercer son jugement, y compris lorsqu’il doit s’en remettre à plus savant que lui, y compris lorsqu’il s’agit des principes de la République eux-mêmes. Mais l’instruction va plus loin encore dans l’ordre de la liberté : elle en offre à chacun l’expérience la plus complète et la plus concrète. (...)
Ainsi se forme une communauté des esprits qui est le modèle de la fraternité républicaine : voilà une des raisons pour lesquelles l’instruction est par elle-même éducative. (...)