
Du « débat dur l’identité nationale » aux sondages sur « l’Islam », en passant par les procès pour « racisme anti-blanc » et les « affaires Charlie Hebdo », de l’impunité des homicides policiers au lynchage judiciaire des « cinq de Villiers-le-Bel », des emplois réservés aux lois antivoile, de l’effet Marine Le Pen à l’effet Manuel Valls, le livre de Pierre Tevanian, Chronique du racisme républicain, revient, en une quinzaine d’épisodes, sur la manière dont la (déjà ancienne) tradition raciste-républicaine s’est (un peu) renouvelée et (beaucoup) perpétuée, entre la fin du mandat Sarkozy et le début de l’ère Hollande-Ayrault...
En voici l’introduction, et la table des matières.
Ce que d’ordinaire on appelle l’État d’exception est une suspension du droit commun décrétée par le pouvoir souverain. Cette suspension vaut toujours pour une période et un territoire délimités – par exemple un « état d’urgence » liée à une période de guerre ou de guerre civile – mais elle s’applique à tous. Il existe en revanche une autre formulation, pour ainsi dire inverse, de l’exception, dont la délimitation n’est ni spatiale ni temporelle mais plutôt corporelle : c’est le contours de chaque corps qui constitue la frontière, de sorte que seuls certains corps – de la mauvaise couleur, du mauvais « type », enveloppés dans le mauvais tissu – sont soumis au traitement d’exception, mais en tout lieu et en tout temps.
Le pouvoir souverain n’est en somme pas seulement celui qui, selon la formule consacrée de Carl Schmitt, détient le pouvoir de décréter l’État d’exception : il est aussi celui qui, en temps normal, gère au quotidien, de manière « chirurgicale », une pluralité d’États d’exception permanents, et qui pour cela doit produire – à l’aide de discours, d’expertises, de lois, décrets et circulaires – ce que Sidi Mohammed Barkat a nommé des corps d’exception [1].
Cette production et cette gestion des corps d’exception porte un autre nom : racisme. (...)