
De nombreuses polémiques ont cours entre sondeurs et sociologues. Pourquoi est-il si difficile de critiquer les sondages ?
Il y eut des polémiques marquantes entre sociologues et sondeurs. Ou, plutôt, des critiques sévères des sociologues à l’égard des sondeurs. Ces derniers ont d’abord essayé de se mettre les premiers « dans la poche ». Ils avaient tout à gagner à une polémique, même dure, car elle leur donnait du crédit scientifique. Du moins si elle se déroulait avec la visibilité des médias. Cela a conduit la plupart des sociologues à refuser ces échanges asymétriques où les uns défendent une conception exigeante de la science et les autres leur chiffre d’affaires. (...)
Aller dire que l’opinion publique n’existe pas toujours ni également et que les sondages produisent souvent des artefacts risque fort de n’être pas compris et d’attirer l’accusation d’antidémocratie. Comme si la science était démocratique…
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Certains journalistes et surtout des patrons de presse ne veulent pas contrarier les sondeurs avec lesquels ils travaillent depuis de nombreuses années, qu’ils tutoient, qui leur apportent gratuitement des informations et des analyses, leur suggèrent des sujets d’enquête, leur donnent des tuyaux. Alors la critique des sondages, à quoi bon ?
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Qu’importe donc l’exactitude pourvu qu’il y ait des chiffres. Il en va des sondages comme des chiffres d’audimat qui servent à calculer les tarifs publicitaires ou des indices financiers : ils contribuent à définir la valeur des choses, des actifs ou des hommes. (...)
La politique s’apparente en cela à l’univers du marketing où il faut tout évaluer, tester pour prendre des décisions. Et d’ailleurs, les entreprises de sondages font l’essentiel de leur activité dans le secteur économique. Les sondages qui paraissent dans la presse sont souvent vendus à perte, car la politique est aussi un faire-valoir publicitaire et statutaire. Les sondages contribuent à sa marchandisation avec d’immenses conséquences. Contrairement à la météo qui n’a pas les moyens de changer le temps qu’il fera, ils ont des effets parce qu’ils agissent sur les croyances comme les informations financières agissent sur les cours de bourse. Ici, casser le thermomètre change la température du malade.
Bien sûr, les sondages sont devenus un instrument de pouvoir. (...)
La sondomanie prospère sur un paradoxe et une tromperie : il faut sonder à satiété pour confisquer la démocratie en restaurant des mécanismes censitaires et ploutocratiques. (...)
Incontestablement, l’image publique de la science est atteinte par cette parodie de science qui consiste à croire que les hommes font ce qu’ils disent et disent ce qu’ils font. En partie sans doute mais pas comme l’acceptent sans sourciller les sondeurs.
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