
Comme le souligne l’observatoire états-unien des médias Fair dans l’article que nous traduisons ci-dessous [1], le « pragmatisme » semble devenu la chose la mieux partagée dans le monde médiatico-politique. Les protestations, aussi permanentes que véhémentes, contre toute initiative progressiste ou simplement d’intérêt général constituent autant de rappels à l’ordre conservateur et libéral – cet ordre que les grands médias s’efforcent de maintenir, ici comme là-bas.
Plutôt que de pointer les complicités objectives entre les chefferies éditoriales des grandes rédactions et les intérêts économiques et politiques des décideurs, il est plus facile et plus porteur – hélas – pour les commentateurs d’en appeler à toujours plus de « pragmatisme » ou de « pédagogie ». À la veille des élections municipales de ce côté-ci de l’Atlantique, il n’est pas inutile de s’en souvenir. (Acrimed)
Pragmatique (adj.) : se dit d’une manière sensée/ raisonnable de résoudre les problèmes, conforme aux conditions existant réellement à un moment donné, plutôt que d’obéir à des théories, des idées ou des règles figées.
(source : Cambridge Dictionary) (...)
Les analystes et autres experts n’ont cessé d’exprimer leur profond scepticisme à l’égard d’un programme progressiste qui comprend l’accès universel aux soins, le financement public de l’enseignement supérieur, un « Green New Deal [2] » pour affronter le changement climatique et une taxation plus forte des riches. Ils exhortent les électeurs à choisir des candidats plus modérés (c’est-à-dire plus favorables à l’entreprise) qui, selon eux, ont bien plus de chance de déboulonner Trump en 2020 (voir Fair le 02/07/19).
Et pourtant, cette aile gauche du parti democrate n’a cessé de croître, attirant de nombreux électeurs grâce à l’argument selon lequel un programme véritablement progressiste est non seulement une réponse crédible aux graves problèmes du pays, mais aussi une bonne stratégie pour gagner les élections en mobilisant les abstentionnistes ainsi que tous les indécis qui ont des positions conservatrices au plan social mais qui penchent à gauche au plan économique (voir Fair le 20/06/17).
Du scepticisme à l’hostilité
Compte tenu du rejet croissant par la population de leur définition du « pragmatisme », les médias dominants sont passés du scepticisme à l’hostilité ouverte. (...)
Trente-deux des trente-trois derniers sondages montrent que Sanders battrait Trump à la présidentielle, souvent à plate couture, Elizabeth Warren l’emportant également contre le président actuel selon la plupart des projections. Une très grande majorité d’Américains soutiennent l’accès universel aux soins, y compris la plupart des électeurs républicains, tandis que 60% du pays est favorable à la gratuité des études supérieures. Deux tiers de la population est favorable à une augmentation du salaire minimum à 15$/heure. Et de vastes pans des Républicains soutiennent le projet d’Elizabeth Warren de taxation des riches, tandis que le grand public soutient le Green New Deal.
On pourrait donc affirmer qu’un programme progressiste serait l’assurance d’une victoire dans les urnes, non seulement en ralliant des électeurs de Trump mais aussi des abstentionnistes. (...)
les médias dominants dissimulent leur orientation favorable aux grandes entreprises sous un vernis de pragmatisme, en faisant passer leurs idées pour du simple bon sens : des millions d’Américains devraient ainsi voter contre leurs propres intérêts dans la mesure où ceux qui les défendent risquent de tout leur faire perdre.
À en croire les sondages et les innombrables études qui montrent que les gens ne supportent plus les inégalités galopantes, le vrai pragmatisme dans la séquence électorale actuelle, et la meilleure manière de rassembler largement l’électorat, pourrait bien être une guerre de classe totale contre Donald Trump. N’attendez pas, cependant, qu’un quelconque média détenu par des millionnaires et autres milliardaires souscrive à cette analyse.