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LE BIG BROTHER PANOPTIQUE
José Pablo Feinmann, philosophe argentin, professeur, écrivain, essayiste, scénariste et auteur-animateur d’émissions culturelles sur la philosophie.
Article mis en ligne le 26 août 2013
dernière modification le 21 août 2013

La foi que beaucoup (des millions de personnes partout dans le monde) ont mise dans Internet m’a toujours surpris. Lors d’un colloque au Chili – il y a déjà environ huit ans, un spécialiste espagnol en communications m’a indiqué que la liberté et la transparence existaient encore dans le monde. Et il a mentionné l’exemple d’Internet. Seulement, je lui ai répondu que, quand ils le voudront, ils contrôleraient l’absolu cyberespace. Internet rassemblait la foi inépuisable des êtres humains dans leur liberté, leur capacité de faire face aux grands pouvoirs ou de les fuir ou de s’isoler ou de les mettre en échec. Entre la chute du Mur de Berlin et le début de la nuit néolibérale, nombre de théoriciens ont fait confiance comme des anges en l’innocence du pouvoir « démocratisateur » des moyens de communication.

(...) On a voulu voir dans Internet une renaissance de l’utopie de la société transparente. On a cru qu’ils nous l’avaient donnée pour que nous soyons tous libres, pour que nous nous communiquions, pour jouer, jusqu’ à faire des révolutions. Le monstre a enlevé sa capuche. Cela fait un moment que c’était déjà fixé. La Chine a accusé Google de lui imposer des valeurs US et d’autres choses encore. Elle a clairement dit (déjà en 2011) que Google était un outil des Etats-Unis d’Amérique qui travaillait pour leurs services d’intelligence. Snowden n’a fait que confirmer ce que Assange disait depuis quelques années. Internet, manipulé par le pouvoir, a été transformé dans le plus grand ennemi de la civilisation humaine. (...)

Nous vivons au milieu d’une loi martiale informatique. (...)

La modernité continue d’être encore le déploiement du capitalisme. Comme cela l’a toujours été, y compris pour les projets révolutionnaires qui ont essayé de s’opposer sous le nom de socialisme et qui ont échoué. La véritable révolution a été faite par le capitalisme, non par le prolétariat ni par le Tiers Monde. Cette révolution est l’informatique. (...)

Le Complexe Militaro-industriel est l’allié du pouvoir informatique. Les deux sont engagés dans le même projet de domination mondiale. (...)

Le sujet panoptique est centré dans le pouvoir de l’empire. De là, il nous surveille. Le panoptique a été créé par l’utilitariste anglais Jeremy Bentham (1748-1832), par ordre de Jorge III. C’est une figure centrale pour comprendre ce qui arrive aujourd’hui. Le panoptique (que, avec quelques changements, reprendra et analysera Foucault dans « Surveiller et punir ») est un point depuis lequel on voit la totalité sans être vu. La dyade « voir-ne pas être vu » constitue autant le panoptique que l’espionnage informatique. Le sujet centralisé non seulement espionne les autres sujets, mais les colonise avec son appareil de propagande médiatique. Il lui a suffi de s’être approprié presque tous les groupes monopolistiques qui donnent forme à l’opinion publique. La véritable action politique de la droite (en Amérique du Sud, par exemple) s’est développée à travers le pouvoir informatique. Du pouvoir des grands groupes de communication. Des monopoles de l’information. (...)

Le monde est constitué comme image du Big Brother panoptique qui voit tout et épie tout et que personne ne voit. Il existe des sujets. Dans le cas contraire, le Big Brother panoptique ne chercherait pas à les conquérir au moyen d’abrutissants divertissements, la vérité déformée et construite en accord avec ses intérêts ou le mensonge pur et simple. (Rappelons-nous du « cadavre » de Chavez à la une du quotidien espagnol El Pais.) Dans la recherche de la liberté dont ces sujets peuvent encore jouir résident nos espoirs. Entre-temps, ils nous épient. Ils lisent déjà cette note. Demain, ils la liront dans le journal. Ils sauront ensuite que Vous la lisez. Nous ne savons pas ce qu’ils feront. Mais quoi qu’ils fassent, ils le feront bien informés. Parce que, à la fin, ils devront évaluer quel risque sérieux implique pour eux ce petit processus : écriture de la note, publication dans un journal, lecture du sujet qui s’est intéressé à elle. La modernité informatique est la plus redoutable des étapes qu’a parcourues le capitalisme. Enfin, il domine un monde qu’il a globalisé et que, maintenant, il espionne parce que ce monde n’est déjà plus le monde : c’est le cyberespace dans lequel se déroule la partie de chasse de l’espionnage informatique.