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IRIN - nouvelles et analyses humanitaires
LE CHEMIN DE LA RÉDEMPTION ? DÉMANTELER BOKO HARAM AU NIGERIA
Article mis en ligne le 18 octobre 2015
dernière modification le 14 octobre 2015

Le Nigeria serait-il en train de tenter l’impossible en essayant de déradicaliser les extrémistes de Boko Haram ? Obi Anyadike, envoyé spécial d’IRIN, s’est entretenu avec des prisonniers, avec leurs victimes et avec les « équipes de traitement » du programme de déradicalisation qui tentent de les réinsérer dans la société. Il s’interroge ce qui a poussé ces hommes à se joindre à l’insurrection qui déchire la région.

L’agent de prison Malam Tata a une vocation. Il considère comme son devoir religieux d’aider les gens à obtenir le salut et il pense que peu de personnes ont aussi mal agi que les 43 membres de Boko Haram dont il a la charge à la prison de Kuje, en périphérie d’Abuja, la capitale du Nigeria.

Cet agent svelte et enthousiaste travaille depuis 26 ans dans cette prison. Il dirige une équipe d’imams, les chefs religieux musulmans, dans une stratégie de déradicalisation propre au pays et unique au monde visant à réinsérer les détenus qui appartenaient à Boko Haram. Son équipe, uniquement composée d’agents de prison, est en contact très proche avec les membres du mouvement et mène quotidiennement des discussions spirituelles remettant en question les fondements de leur idéologie de la violence. (...)

Ferdinand Ikwang est le directeur du programme de déradicalisation, qui dépend du Bureau du Conseiller national pour les affaires de sécurité (ONSA). Son portefeuille comprend un ensemble de projets interconnectés luttant contre les mécanismes socio-économiques qui favorisent le recrutement et jetant les bases d’un processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) qui sera lancé quand Boko Haram sera vaincu ou qu’un accord de paix sera conclu.

Sa position concernant les hommes coupables de violences est cohérente. Ceux qui ont commis des atrocités resteront en prison pour suivre le programme de déradicalisation. Mais les simples combattants ayant achevé le programme de LEV pourront être libérés et « continuer à vivre leur vie », quoique sous surveillance.
Un homme investi d’une mission : Ferdinand Ikwang, chef du programme de déradicalisation

D’après M. Ikwang, l’indicateur n’est pas l’abandon de leurs croyances, mais la probabilité qu’ils « prennent une arme ».

Kuje n’est pas la seule prison détenant des membres de Boko Haram. Agwata, près de la ville d’Onitsha, dans l’est du pays, en compte une centaine qui se sont rendus cette année et le programme de déradicalisation devrait commencer là-bas aussi, avec des agents formés à Kuje. D’autres établissements de l’ONSA se remplissent à mesure que de plus en plus de membres de Boko Haram déposent les armes.

La participation au programme de déradicalisation est volontaire. (...)

« L’intention capitale de ce programme est de ne forcer personne à y participer. C’est que l’adhésion soit volontaire », a dit Kasali Yusuf, coordinateur de l’équipe conjointe de l’ONSA et des services de la prison de Kuje. « Au début, ils peuvent participer simplement pour profiter des avantages associés, ce qui a tendance à les amadouer. »

Les détenus membres de Boko Haram sont cependant déjà très impopulaires au sein de la population carcérale et « ces privilèges alimentent les rancoeurs et nous causent bien des difficultés. Nous avons dû expliquer [aux autres prisonniers] que c’était financé par un programme spécial [de l’Union européenne] », a dit Kasali Yusuf.

Son supérieur hiérarchique, qui dirige « l’équipe de traitement », est le psychologue Wahaab Akorede. Après avoir analysé les études de cas des 43 clients, il a conclu que ce qui les différenciait des criminels ordinaires auxquels il avait habituellement affaire, c’était leur niveau de colère, leur désire de « tout casser ». (...)

Mme Udom fait partie d’une nouvelle génération d’agents de prison favorables aux réformes. Elle a pu partir de zéro pour mettre en oeuvre le programme de Kuje pour le compte de l’ONSA et s’appuyant sur des méthodes de LEV utilisées en Asie et au Moyen-Orient et en les adaptant.

La déradicalisation nécessite d’importants investissements, que ce soit pour former le personnel, pour améliorer les installations ou pour financer les programmes de suivi des détenus libérés. Mais les publications relatives à ce genre d’expériences restent floues sur les taux de récidive et sur la question de savoir si c’est le bon indicateur. Le problème, c’est notamment qu’il est « trop tôt pour se prononcer », a dit Mme Udom. « La LEV n’existe que depuis une dizaine d’années dans le reste du monde. »

M. Ikwang s’inquiète cependant d’un problème plus systémique, ancré dans le bilan affligeant du Nigeria en matière de gouvernance dont Boko Haram et d’autres conflits latents dans tout le pays se sont nourris. « Tout extrémisme est une idéologie qu’il faut attaquer à la base, en commençant dans les jardins d’enfants, avec un gouvernement bien plus réactif et qui rende des comptes aux citoyens », a-t-il averti, avant de s’interrompre, plongé dans ses pensées.

« Qu’avons-nous fait pour perdre toute cette génération d’enfants ? »