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La Chapelle, Sevran, Francfort, le burkini... Comment se créent et se propagent les “paniques identitaires”
Article mis en ligne le 30 mai 2017

La mobilisation de Parisiens contre les trafics et le harcèlement de rue dans leur quartier du 18e arrondissement s’est muée en une accusation contre la population migrante et musulmane. Un phénomène comparable à d’autres situations d’hystérie collective nées de faits divers exagérés ou transformés.

(...) Le Front national et plusieurs éditorialistes accusent les migrants et les musulmans, tout confondu, d’être la cause des maux des habitants de La Chapelle. Plusieurs autres associations du quartier mais aussi des groupes féministes engagés contre le harcèlement de rue dénoncent la récupération du problème dans le but de stigmatiser une population bien précise. D’autres rédactions sont dépêchées sur place pour constater que, si les faits sont bien réels, ils ont été exagérés et déformés. Finalement, les auteurs de la pétition originelle sont eux-mêmes obligés de dénoncer l’instrumentalisation de leur appel et de rappeler que le problème ne concerne pas un groupe précis d’individus.

“Le problème social devient un problème lié à la confession musulmane et aux migrants”

Nous faisons ici face à un exemple frappant de ce que l’historienne Laurence de Cock et l’anthropologue Régis Meyran nomment les « paniques identitaires ». Soit une peur collective fondée sur « un récit exagéré, viral et volatile structuré par des politiques et des médias qui met en scène des identités figées dans un contexte précis. » Burkini à Cannes, cafés interdits aux femmes à Sevran, agressions sexuelles massives par des migrants à Francfort : dans l’ouvrage collectif Paniques identitaires : identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences sociales, ils décortiquent avec d’autres professeurs et sociologues ces phénomènes qui occupent l’espace médiatique. Ils analysent pour Télérama comment la polémique autour de La Chapelle s’inscrit dans le schéma qu’ils ont théorisé en quatre étapes. (...)

« Cette fois-ci, la baudruche a été dégonflée plus vite car Francfort et Sevran ont joué un rôle dans la critique des médias, et car La Chapelle est un quartier de Paris, donc un territoire connu des journalistes, plus proche d’eux. Il est encore tôt pour savoir si on en restera là. »
On remarque que la parole n’a pas été donnée aux femmes issues des groupes défavorisés décriés, les migrantes par exemple. Pourtant, ces femmes, certainement minoritaires, existent... (...)

Quand l’indignation surgit sous cette forme, faut-il questionner l’identité de ses auteurs ?
L. de C. : Il faut s’intéresser à leur position dans le champ politico-idéologique et aux intérêts sociologiques et politiques qu’ils ont à relayer cette indignation en fonction de cette position. Les faits peuvent être décriés par des pauvres, mais les paniques identitaires sont toujours soulevées par les dominants. (...)

Il y a « panique » et non plus rumeur s’il y a propagation d’une frayeur par les réseaux officiels de ceux que vous appelez « les entrepreneurs identitaires ». Qui sont-ils ?
L. de C. : Pour qu’une panique prenne, il faut un réseau solide : il vous sera plus difficile d’en créer une en demandant l’arrêt de l’amputation des reptiles. Les figures politico-médiatiques qui les propagent ont une position qui leur permet la diffusion de leurs idées, comme Éric Zemmour ou Laurent Bouvet. Les paniques identitaires sont des outils idéologiques utilisés par une catégorie de ce que l’on appelle les entrepreneurs de morale, des personnes qui cherchent à en influencer d’autres pour qu’elles adhèrent à leurs idées. Cette catégorie des « entrepreneurs identitaires » fait de l’identité le facteur explicatif des problèmes dont il est question. Céline Pina, pour le cas de La Chapelle, met de l’identité dans son texte reprenant l’indignation des riverains alors que la pétition n’en parle pas. Elle assigne une identité culturelle aux responsables.
R. M. : On remarque par ailleurs, que ce soit à La Chapelle, Sevran ou avec le burkini, qu’ils subvertissent des valeurs progressistes : le féminisme et la laïcité. (...)

Ces paniques mobilisent toujours les mêmes imaginaires : une meute d’hommes musulmans hypersexués, notamment. On va montrer des cafés sans femmes à Sevran, sauf qu’au fin fond de la Creuse il n’y a pas beaucoup de femmes dans les cafés non plus. On sollicite comme facteur explicatif des représentations de ce type dans un pays qui va mal socialement. Cela s’appuie sur les nouvelles formes de nationalisme. (...)

Depuis les années 1980, on assiste à la construction d’une matrice pour l’accueil de ces paniques, qui a fait qu’au début des années 2000, les populations étaient prêtes à les recevoir. Nous n’avons pas identifié la première panique identitaire mais l’affaire du voile à Aubervilliers en 2003 fait office de précurseur. De là, les pouvoirs en place n’ont cessé de questionner la compatibilité de l’islam avec la République. À partir du moment où cette matrice d’interprétation a été soutenue au plus haut sommet de l’État, beaucoup de gens sont devenus convaincus qu’il existait un « problème musulman ». (...)

Il ne s’agit surtout pas de relativiser ou de rendre illégitimes ces frayeurs. Ce que l’on dénonce, c’est le culturalisme, cette façon de réduire le comportement d’individus à leur identité culturelle au détriment d’autres domaines d’explication. Nous cherchons à dire la réalité sociologique de ces frayeurs, une réalité qu’on ne peut pas circonscrire à la situation de La Chapelle et des migrants par exemple. Il s’agit de déplacer la focale : on ne peut pas assigner la responsabilité de faits sociaux à une culture figée. On ne fait pas des choses parce qu’on est syrien, musulman, adolescent ou que sais-je. Cela empêche la compréhension dans toute sa complexité. Penser les choses de façon sociologique, c’est donner du sens donc apaiser.