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La France est-elle inféodée à son industrie de l’armement ?
Article mis en ligne le 11 août 2017

Les contrats d’armement sont devenus un des objectifs principaux de la diplomatie française. Au bénéfice de qui ?

Si un secteur ne connaît pas la crise en France, c’est l’industrie de la défense. Entre 2011 et 2016, la France a enregistré une hausse de 45% de ses ventes d’armement. Elle fait partie des cinq principaux fabriquants d’équipements militaires. D’ici à 2018, ses exportations pourraient passer devant celles de la Russie. Cela soulève de nombreuses interrogations et critiques. La France ne se rend-elle pas complice de violations des droit de l’homme ? N’aide-t-elle pas des régimes autoritaires et corrompus à se maintenir au pouvoir ? Dans son livre Marchands d’armes, enquête sur un business français, le journaliste spécialiste des questions de défense Romain Mielcarek décrypte le fonctionnement de ce secteur et sa relation à l’État, loin des clichés. (...)

La majorité des équipements produits sont utilisés par les soldats tricolores. La France fabrique l’essentiel de son matériel militaire –même si le Famas a récemment été remplacé par le fusil allemand HK-416– mais elle représente un trop petit marché pour rentabiliser seule cette production. D’où la nécessité d’exporter les équipements que l’on souhaite voir utilisés par l’armée française. (...)

Les autorités françaises peuvent être tentées de développer des équipements complexes et très haut de gamme, pour une armée à la pointe de la technologie. Quant aux industriels, ils cherchent à fabriquer du matériel commercialisable en France et à l’étranger. (...)

Le secteur de l’armement emploie 160.000 personnes en France. 40 000 embauches supplémentaires sont prévues d’ici à 2020, selon le ministère de la Défense. À titre de comparaison, le secteur automobile fait travailler 220.000 personnes, mais ce chiffre est en baisse. Le secteur de la chimie emploie quant à lui 180.000 travailleurs. L’armement est crucial pour le tissu économique de certains territoires, où il peut représenter jusqu’à 35% des emplois. Les députés qui en viennent assurent généralement un soutien sans failles au secteur, ce qui peut poser question. (...)

Pour l’économiste Claude Serfati, cité dans le livre, des sommes équivalentes investies dans d’autres secteurs auraient de meilleures retombées économiques. (...)

L’éthique des marchands de canons

Pour les entreprises du secteur, l’éthique, c’est surtout une question d’image. Elles ne souhaitent pas que leur nom soit associé à des massacres de civils. La plupart des entreprises d’armement française ont soutenu le traité sur le commerce des armes, mais pour une raison particulière : contraindre leurs concurrents à respecter les mêmes règles qu’eux. Mais mener un contrat d’armement à terme est une procédure complexe et coûteuse, dans laquelle l’État peut mettre son veto à n’importe quel moment. (...)

Les contrats d’armement sont encadrés par plusieurs traités. Premièrement, on ne peut pas vendre à des pays sous embargo international. Les commissions et le recours aux intermédiaires, pour lesquels les contrats d’armement étaient célèbres, sont aujourd’hui interdites. Mais il existe des moyens de contourner ces réglementations. (...)

« La France s’interdit par exemple de vendre à l’Azerbaïdjan et au Haut-Karabagh car il y un embargo de l’OSCE. Mais si les industriels trouvent un moyen de contourner les embargos, ils le font. Aujourd’hui, certains cabinets de conseil jouent le rôle des anciens intermédiaires. Mais la corruption est de moins en moins tolérée. En Inde, au Brésil, il est difficile de facturer des études bidon », précise l’auteur.
Ventes d’armes et diplomatie française
Pour les autorités françaises, vendre ou ne pas vendre de l’équipement militaire à un pays résulte d’un arbitrage. Un contrat d’armement soutient l’économie nationale et les entreprises qui équipent l’armée française. Il peut permettre de renforcer un allié, un pays qui se bat contre un ennemi commun (par exemple l’État islamique) ou de resserrer les liens avec un État. Mais il peut aussi nuire à l’image de la France (surtout si l’acheteur est un régime autoritaire) et aggraver un conflit ou une répression politique. L’État pèse donc le pour et le contre. Généralement, plus la valeur du contrat est important, plus la France accepte que l’acheteur soit « controversé ». (...)

« Les organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International réclament une position plus claire du gouvernement français et surtout la transparence sur les contrats d’armement, ce qui est une demande raisonnable, en ce qui concerne les équipements de sécurité intérieure, par exemple. Les gouvernements et les industriels sont sensibles à l’opinion publique. Les citoyens aussi ont un rôle à jouer, ils peuvent faire évoluer les choses », conclut l’auteur.