
Lors de son audition au Sénat sur la question de la manifestation contre la « mégabassine » de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a remis en cause les subventions publiques attribuées à la LDH (Ligue des droits de l’Homme). Cette menace est d’une particulière gravité. La LDH a été créée par des esprits résistants mus par l’impérieuse nécessité de combattre l’injustice antisémite faite au capitaine Dreyfus, au nom de la raison d’Etat.
Elle a depuis lors été de tous les combats historiques de la République : la loi de 1905 sur la laïcité, les projets d’émancipation, la lutte contre le fascisme et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH). Elle a toujours travaillé dans un souci de dialogue franc et constant avec les institutions. Sous le régime de Vichy, elle fut dissoute et grand nombre de membres de la LDH résistants furent arrêtés, assassinés et/ou déportés. Elle s’est reconstituée pour participer à la reconstruction d’une France meurtrie par les atrocités de la guerre et de l’occupation. Elle n’a eu de cesse de se mobiliser pour soutenir les projets de liberté, d’égalité et de fraternité en défense permanente de l’Etat de droit.
Les attaques dont elle fait aujourd’hui l’objet sont notamment la conséquence de son travail sur cette défense de l’Etat de droit basé sur l’observation des pratiques policières et l’exigence d’une désescalade, indispensable au maintien de l’ordre républicain pour protéger le droit de manifester inscrit au cœur de notre contrat social.
Les subventions accordées aux associations constituent une pierre fondamentale de l’édifice démocratique promu par les organisations internationales et européennes. Elles sont indispensables en démocratie pour permettre la contestation des excès de pouvoir et de l’arbitraire. Supprimer ou diminuer ces subventions est l’un des moyens traditionnels utilisés par les régimes autoritaires pour affaiblir l’équilibre entre pouvoir et contrepouvoirs, sans lequel une démocratie est anéantie.
Ces menaces ne visent pas la seule LDH. Elles sont le symptôme du projet historique de la réaction contre « Les Lumières », de l’autoritarisme contre les libertés. Il y a urgence à lui opposer un refus ferme et large. La LDH sonne l’alarme et appelle celles et ceux qui ont à cœur de défendre notre modèle démocratique, celles et ceux qui, au sein des institutions de la République, disposent des moyens de s’opposer à ce projet délétère, à s’engager à ses côtés avec détermination.
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– (Public Senat)
(...) Vous avez pris connaissance des propos de Gérald Darmanin à l’encontre de la LDH. Quelle est votre réaction ?
Henri Leclerc. Ma première réaction c’est que ces propos sont stupéfiants et incroyables de la part d’un ministre de l’Intérieur. C’est la preuve que Gérald Darmanin ne supporte pas que l’on vérifie la conformité au droit, du comportement de la police. Quand un pouvoir commet des fautes contre les libertés individuelles des individus, c’est le rôle de la Ligue des droits de l’Homme de les défendre.
La Ligue des droits de l’Homme serait-elle menacée si elle était privée de ses subventions ?
Je ne pense pas. Je n’ai plus les chiffres en tête mais dans mon souvenir les subventions sont plutôt modérées et raisonnables dans le budget de l’association. Tout ça, est d’ailleurs public et les comptes sont certifiés par la Cour des comptes (Selon les données disponibles sur le site de la LDH, les cotisations des adhérents constituent la principale ressource de la LDH (38 %), suivis des dons et legs (19 %), des ventes (11 %), des subventions publiques (29 %) et des fonds privés (3 %) NDLR). Le ministre peut toujours essayer de dissoudre la LDH et on verra ce que le Conseil d’Etat dira.
Gérald Darmanin reproche à la Ligue des droits de l’Homme d’avoir contesté en justice des arrêtés de la préfète des Deux-Sèvres et du préfet de la Vienne, prévoyant l’interdiction du transport « d’armes par destination » la semaine précédant la manifestation à Sainte-Soline. Qu’en pensez-vous ?
C’est absurde. Nous sommes contre les armes. Mais nous nous opposons à cette approche qui consiste à considérer n’importe quoi comme une arme et qui permet des arrestations généralisées. Et il est vrai que la Ligue des droits de l’Homme a obtenu des victoires récentes contre l’Etat, comme la suspension d’un arrêté du préfet Nunez par le tribunal administratif de Paris, interdisant les manifestations nocturnes.
Le ministre a également qualifié de « fake news » le fait que les secours aient été retardés sciemment par les forces de l’ordre lors de la manifestation de Sainte-Soline. C’est pourtant ce qu’ont rapporté les observateurs de la LDH sur place.
Il va falloir qu’il prouve que c’est une « fake news ». Depuis le témoignage de nos observateurs, un enregistrement sonore a été dévoilé. Peut-être que Gérald Darmanin estime que cet enregistrement a été inventé aussi. Mais il devra le prouver.
Les propos de Gérald Darmanin ont-ils de quoi vous inquiéter ?
La Ligue des droits de l’Homme a toujours été attaquée par le pouvoir en place. Lors de sa création, au moment de l’affaire Dreyfus, ce dernier avait déjà été condamné à perpétuité. Et pourtant, c’est grâce au combat de la LDH qu’il a été réhabilité et démontré qu’il s’agissait d’un crime d’Etat. La Ligue des droits de l’Homme a été attaquée pendant une vingtaine d’années de toute part pour son combat en faveur de la réhabilitation des mutins de la Première Guerre mondiale. Elle a été dissoute pendant l’occupation. Son président de l’époque Victor Basch et son épouse ont été assassinés par la milice. Et pourtant, à la libération, la LDH s’est battue contre les exécutions sommaires des collaborateurs et leurs détentions arbitraires. C’est tout à fait caractéristique de la position de la Ligue, la défense des droits avant tout.
Mais un ministre de l’Intérieur qui s’interroge sur le maintien des subventions de la Ligue des Droits de l’Homme, c’est une dérive ?
Ce qu’il faut savoir, c’est le poids politique de cette déclaration. Est-ce un engagement de l’Etat ? Ou un dérapage de plus de Gérald Darmanin ? Il n’en demeure pas moins embêtant qu’il reste ministre de l’Intérieur dans ces conditions. J’y vois surtout le résultat d’un homme englouti par ses excès et ses mensonges. (...)