Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Ballast
La Quadrature du Net : « En France, la surveillance de la population est extrêmement développée »
Article mis en ligne le 6 mars 2022

Hier, le Conseil d’État français refusait, en référé, de suspendre le pass vaccinal adopté par l’Assemblée nationale le 16 janvier dernier, succédant au pass sanitaire — et ce malgré l’opposition de tous les défenseurs des droits et des libertés individuelles et collectives. Dès le mois d’août 2021, l’association La Quadrature du Net alertait ainsi contre « les dangers » posés par sa mise en place. Précisant : « Cet emballement dramatique des pouvoirs de l’État s’inscrit dans un mouvement d’ensemble déjà à l’œuvre depuis plusieurs années ».

(...) Le propre de la « répression par l’exclusion » est d’être difficile à critiquer en masse. Elle se fonde sur une fracture entre personnes jugées désirables ou indésirables par l’État (gens du voyage et migrant·es, typiquement) en espérant que cette fracture et les différences de traitement qui en résultent freinent la solidarité des personnes non-exclues envers celles exclues. Avec des conséquences moins dramatiques, c’est sur ce type de fracture que repose le pass sanitaire pour réprimer par l’exclusion les personnes non-vaccinées, qui ne bénéficient pas toujours d’une grande solidarité. À droite comme à gauche, on ne manque pas d’excuses pour ne plus participer aux manifestations anti-pass : moqueries ou haine contre les personnes qui ont peur des nouvelles technologies (vaccins comme 5G) ; culpabilisation des personnes non-vaccinées ; refus d’être associé à des personnes de classe inférieure ; puis refus d’être associé à l’extrême droite qui, fatalement, est venue profiter de l’isolement politique dans lequel les militant·es anti-pass avaient été laissé·es. Pourtant, les systèmes de répression par l’exclusion sont au cœur de l’idéologie d’extrême droite et des politiques menées par le gouvernement, que ce soit contre les pauvres, les étranger·es ou toute personne déviant des normes réactionnaires. Le pass sanitaire, en montrant comment les nouvelles technologies peuvent décupler ces pratiques de contrôle et d’exclusion, devrait être une cible dans la lutte contre les idées d’extrême droite. (...)

Le rôle de Macron est probablement très faible dans ces évolutions. Sur ces sujets, ce sont les services de renseignement et la police qui ont toujours défini la marche à suivre — elle-même souvent la conséquences d’évolutions internationales (...)

Il a fallu attendre 2013 et les divulgations d’Edward Snowden pour que le gouvernement prenne la peine de légaliser les programmes de surveillance massifs et secrets développés par le renseignement français. S’agissant de la reconnaissance faciale, c’est la Chine qui semble inquiéter les polices européennes : hors de question pour l’Occident de perdre l’hégémonie technologique de l’oppression et de se faire distancer par l’empire du Milieu ! D’autant que les enjeux industriels sont immenses et que l’industrie française (Thalès, Atos, Idémia, Evitech…) promet, si on lui en donne l’argent et les lois nécessaires, de faire de la France un pays à la pointe de la surveillance biométrique2. Cette escalade sécuritaire est la conséquence naturelle de notre système économique, de la structure de notre État et de facteurs géopolitiques — autant de choses qui existaient bien avant Macron et risquent hélas de lui survivre. (...)

La CNIL, malgré des moyens encore faibles face à l’ampleur des traitements de données personnelles qui sont réalisés, a déjà un certain nombre de ressources pour mettre de sérieux freins au développement de la technopolice — l’alliance des nouvelles technologies aux pouvoirs de police : ce qu’elle ne fait encore que trop rarement. C’est à la population de mettre la pression pour la faire changer de posture. Récemment, certains signes laissent penser que cette mobilisation commence à payer : la CNIL a rendu quelques décisions contre de nouvelles technologies de surveillance. (...)

nous avons déposé, avec 12 000 personnes, des plaintes collectives contre Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft dans le but de les empêcher de faire du ciblage publicitaire en Europe. Trois ans plus tard, le résultat est mitigé : Amazon vient de recevoir une amende record de 746 millions d’euros au Luxembourg suite à notre plainte, avec obligation sous astreinte d’arrêter la publicité ciblée sans notre consentement. Amazon a fait appel de la décision et n’a pas encore changé son comportement. Les quatre autres plaintes sont bloquées en Irlande, où les entreprises sont situées et où l’autorité semblable à la CNIL ne parait pas pressée de travailler. Comme pour la CNIL en France, le seul blocage semble être politique : derrière un protectionnisme de façade, peu d’États européens souhaitent se mettre à dos les GAFAM qui sont de puissants alliés en matière de censure, de développement technologique ou de propagande politique. Mais comme pour la CNIL, la population peut faire pression sur ces institutions plus ou moins indépendantes, et nous ne désespérons pas de quelques belles surprises à venir. (...)

Nous n’opposons pas de modèle prétendument occidental à un modèle prétendument chinois (où le secteur privé joue d’ailleurs un rôle fondamental) car il nous semble que ce discours permet surtout aux gouvernements européens de dissimuler la surveillance de masse qu’ils ont déjà installée, tout en leur offrant le prétexte pour en installer davantage afin de rattraper un prétendu retard vis-à-vis de la Chine. En réalité, en France, la surveillance de la population est extrêmement développée, qu’elle soit réalisée par l’industrie privée ou par l’État — qui tient à jour des fichiers sur la population, gérés par l’administration sans le contrôle de la justice, afin de savoir quelles personnes sont correctement intégrées dans la société ou, au contraire, posent des risques politiques et doivent ainsi se voir refuser l’accès à certaines professions ou à un titre de séjour. (...)

Peu de monde souhaite véritablement l’apparition d’un Google parisien ou d’un Facebook berlinois. Le gouvernement français vante les mérites de Google et de Facebook dès que l’occasion se présente et n’aurait aucun intérêt à ce que ceux-ci disparaissent ou s’éloignent. Google et Facebook ont gratuitement repris à leur compte tout le travail de police de l’Internet, et le gouvernement a exprimé à de nombreuses reprises en être très satisfait (son seul problème concerne Twitter qui est moins coopératif que les deux autres). (...)

Nous ne pensons pas que Google et Facebook puissent véritablement offrir des espaces de libertés d’expression : quand ils le font, ce n’est que de façon incongrue et temporaire. Au contraire. La raison d’être de ces entreprises est de créer des espaces d’expression inégale où sont favorisées les industries qui les financent pour diffuser leur propagande publicitaire au détriment du reste de la population — l’inverse de la liberté d’expression. Google et Facebook sont des modèles de censure par nature, de sorte qu’ils n’ont pas attendu que des lois le leur demandent pour censurer des propos contraires à leurs objectifs commerciaux. (...)