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La Rose Blanche : de l’extrême-droite à l’agonie populaire
/Ricardo Parreira Journaliste independant
Article mis en ligne le 1er août 2021

Depuis quelques semaines, une panoplie d’autocollants portant le nom de La Rose Blanche est recensée dans des manifestations contre le passe sanitaire, sur internet et dans la rue. Enquête sur un mouvement indépendant qui se propage via Telegram, à tendance complotiste et lié à l’extrême droite.

La Rose Blanche est un canal Telegram créé le 23 avril 2021. Il a été mis en place pour permettre aux francophones de se joindre à "l’action internationale" de "The White Rose", canal Telegram créé en Angleterre en novembre 2020. Le canal français a été lancé par le compte @animalgaierit, qui gère un autre canal : les Qréateurs. Ce canal poste surtout aujourd’hui des messages holistiques, portés sur le bien-être humain, l’amour, etc. Cependant, si on remonte dans le fil, en mars 2021, on verra pas mal de posts anti-masques et anti-vax, et si l’on remonte à février 2021 - décembre 2020, nous constatons qu’il s’agit initialement d’un groupe français complotiste pro-Trump - Qanon. (...)

La Rose blanche est le nom d’un groupe d’étudiant·es qui a résisté aux nazis entre juillet 1942 à février 1943 en Allemagne, en distribuant des tracts dissidents au régime. Cette récupération est honteuse pour la mémoire collective, comme pour les familiers de celles et ceux qui ont enduré le nazisme. Le pire reste la manipulation qui va avec : ces groupes, qui font de la désinformation et relaient la propagande d’extrême-droite, osent usurper le nom de "La Rose blanche". Un confusionnisme inacceptable, qui révèle à quel point l’extrême-droite veut se reapproprier l’Histoire, la manipuler pour atteindre ses objectifs politiques. À ce sujet, revenons au chapitre : pour le bien, pour le mal. "Ma Chère Nostalgie nazie."

"Les étudiants écrivirent sur les murs des slogans pacifistes et antifascistes, collectèrent du pain pour des détenus de camps de concentrations et s’occupèrent de leurs familles. Les actions de la Rose Blanche furent prises en exemple à partir de janvier 1943 par des intellectuels du sud de l’Allemagne et de Berlin." (...)

Un canal Telegram d’extrême-droite "apolitique"

Selon ceux qui sont aux manettes de La Rose Blanche ou The White Rose, le groupe est un "réseau mondial décentralisé, d’activistes indépendants travaillant pour diffuser un contre-récit "bien nécessaire" à l’assaut incessant de la peur, des mensonges et de la propagande auxquelles les populations étaient soumises depuis le début du Covid-19". Leur mission est d’inspirer un "scepticisme sain", une "pensée critique" face à la propagande omniprésente du gouvernement et des médias. Le modus operandi du groupe se construit autour du collage d’autocollants partout. Pour l’heure, nous avons identifié une vingtaine de pays où ce réseau prospère : États-Unis, Irlande, Angleterre, Allemagne, France, Belgique, Danemark, Portugal, Italie, Pologne, Nouvelle-Zélande, Australie, etc. (...)

Le groupe se définit ainsi :

(...) "Nous ne souscrivons pas à la partisanerie, à la politique identitaire ou aux faux paradigmes politiques gauche/droite créés, à dessein, pour nous diviser et nous conquérir, et pour tenter de nous soumettre au contrôle de ceux qui croient à tort qu’ils possèdent notre corps, notre esprit, et les âmes."

"Nous ne tolérons pas, et de plus, nous condamnons le racisme de toute nature. (...)

Un "speech" impeccable à la veine libertarienne, dont le but est d’infiltrer les psychés des plus démunis. De celles et ceux, qui n’ont pas le réflexe ni les outils pour questionner ou creuser le "pourquoi" du "comment". Des phrases courtes, des super slogans, des références populaires ou aux grands films de science-fiction, des références universelles qui engagent les "gens" dans une atmosphère séduisante, non-violente, et qui apporte de suite une forme d’action directe. (...)

Un fonctionnement ou "mécanisme de désinformation" qui parait inoffensif, mais qui introduit progressivement dans notre vocabulaire de nouveaux concepts comme le nouvel ordre mondial ; le grand reset ; l’idée d’un faux virus, et de médias qui sont le vrai virus, etc. Voilà la finesse d’un lavage idéologique qui a d’abord pour but la rupture avec les repères qui nous attachent à la réalité, avant de nous conduire vers d’autres recherches et réseaux dans l’internet. (...)

On parle d’une nébuleuse d’extrême-droite omniprésente sur internet qui fait du "marketing" politique, à travers des techniques similaires à celles utilisées par des growth hackers : des faux comptes Twitter, des groupes Telegram, Whatsapp, Instagram, des pages Facebook, etc. Ces militant·es dynamisent le flux de la "désinformation" puis de la "réinformation" dans le but d’amener les "agent.es libres indépendant.es" vers une radicalisation de la pensée. Une stratégie également reprise par les influenceurs d’extrême-droite sur Youtube, comme Papacito, Le Raptor, Valek, Bruno le Salé, Baptiste Marchais ou Laurent Obertone. (...)

À cette radicalisation de la pensée, s’ajoute une froideur émotionnelle, un sentiment de puissance narcissique, en totale confrontation avec le monde. Pendant la manifestation du 24 juillet à Montpellier, plusieurs altercations se sont produites, soit entre manifestant·es, soit avec des badauds, sur la question des morts du Covid19. Choquées par la violence des affiches, ces dernières personnes "qui ont perdu des proches", auraient fait des commentaires perçus comme des gestes "typiques des moutons"... Ce détachement émotionnel de la société et du deuil collectif se constate également dans les autocollants de La Rose Blanche. (...)

Les idées Qanon mutent et persistent dans l’espace public

Dans notre précédente enquête Reinfocovid : Quand l’extrême droite s’empare de l’épidémiologie, nous avons affirmé que contextualiser les mouvements covido-sceptiques, anti-masques, ou encore anti-vaccins Covid-19 dans le monde, était la clef pour comprendre la nébuleuse Reinfocovid. La Rose Blanche ou The White Rose fait partie du continuum d’un mouvement réactionnaire issu des États-Unis, dont il vaut la peine d’explorer et de connaître les intentions. (...)

Insister sur la nécessité de prendre du recul et prendre au sérieux ces glissements sémantiques... permet de connaître les grands axes du mouvement Qanon, qui agglomère une série de théories et complots (remplis de contradictions), mais aussi de comprendre notre position personnelle sur ces mêmes thématiques et clarifier si nos valeurs politiques peuvent être assimilées par l’extrême-droite. (...)

Les grandes lignes conspirationnistes Qanon s’accordent sur l’idée de l’État profond (ou Deep State), largement exploitée par l’administration Trump, mais quelques fois aussi par Macron. Il définit un monde où les magnats du monde financier ou politique, en coopération avec les médias, auraient des pratiques pédophiles, cannibales et sataniques. (...)

À l’été 2020, nous apprenons que “le virus Sars-Covid-19 a été créé en laboratoire” et qu’il est “Made in France”. Le pdf The Whole Truth, facilement trouvable sur le web, révèle également le processus par lequel l’axe du mal Gates-Rockefeller, crée actuellement le vaccin contre le virus. Cependant, celui-ci ne serait pas un simple vaccin, mais une substance nanotechnologique qui sera activée avec l’entrée en service de la 5G, et permettra un contrôle total de l’humanité. (...)

La grande réinitialisation - The Great Reset, terminologie apparue lors du Forum Économique Mondial à Davos, en Suisse, s’imbrique dans une ancienne théorie, celle d’un nouvel ordre mondial mené par les Illuminatis visant à instaurer un État mondial totalitariste, technocratique et policier. (...)

Le paradoxe fasciste Qanon, se définit donc par une série de personnages et mouvances qui veulent lutter contre le Great Reset, le totalitarisme économique, la dictature sanitaire, mais qui parallèlement diffusent une panoplie d’idées extrémistes et intégristes : opposition à l’immigration, au mariage homosexuel, climatoscepticisme, racisme, antisémitisme, islamophobie, homophobie, négationnisme ou même néonazisme.

Dans le discours conspirationniste, Donald Trump apparaît comme une figure messianique qui apporterait « la Tempête » (The Storm) ou « Le Grand Éveil » (The Great Awakening). Après la défaite aux élections, d’une prophétie qui jamais ne se produira, une petite partie du mouvement accepte la réalité, mais la majorité du mouvement Qanon évolue.

"La communication politique dans toute société est nourrie des représentations collectives et imaginaires que chacun des groupes sociaux produit. Ces représentations sont véhiculées par l’investissement d’une « pensée de type magique » dans les conflits politiques et surgissent à la surface du monde politique au travers de divers comportements paranoïaques d’attribution causale.
Il est évident qu’au-delà du domaine politique, l’imaginaire du complot intervient dans toutes les formes d’interaction humaine en attribuant une « causalité diabolique » à un ennemi imaginé."

Le contexte Covid, relance le mouvement sur des thématiques sociétales, dont l’extrême-droite vise à s’emparer pour faire grandir ses rangs : les anti-vax, anti-pass, anti-confinement, etc. Le même schéma se reproduit en Angleterre avec le mouvement Anti-lockdown (anti-confinement), en Allemagne avec les Querdenker (Libres penseurs) ou en Suisse les Freiheitliche Bewegung Schweiz (Mouvement de liberté suisse). (...)

Attaquer les médias, semer le doute, réinformer

Une stratégie ancienne, qui vise à démunir l’opposition politique et idéologique dans une première phase, puis à s’attaquer aux médias de "masse" avec des "fakenews" pour ensuite les accuser de propager des "mensonges collectifs" qui cachent le triste destin de l’humanité : l’esclavage technocratique.

Plutôt qu’essayer de changer la réalité, et exiger/lutter pour l’indépendance des médias des groupes financiers et influences politiques, la stratégie est de tout dénigrer et d’instaurer la méfiance. Plutôt que de financer la presse locale et indépendante présente sur le terrain, les actions portées par le mouvement Qanon et ses dérivés tendent à emmener les gens vers des médias d’extrême droite prêts à salir toutes les chartes journalistiques ou les droits humains, pour monter dans les audiences et crédibiliser le racisme, la xénophobie, l’islamophobie, le grand remplacement, etc. (...)

Le résultat attendu est donc de destituer les citoyens des outils démocratiques, puis d’instaurer une méfiance envers la toile médiatique, pour ainsi solidement conduire les gens vers les sites internet qui partagent "la vraie information". Un phénomène que nous avons décrit dans l’enquête Reinfocovid : Quand l’êxtreme-droite s’empare de l’épidémiologie.

"À travers les liens présents sur les sites internet, une carte non-exhaustive des collectifs partageant les mêmes idées apparaît. D’autres collectifs comme Bas Les Masques, BonSens, Enfance et Libertés, montrent la vraie dimension du réseau, mais aussi leur stratégie pour augmenter les “web-clusters” sur la toile. L’idée est de faire converger plusieurs types d’internautes qui ne partagent pas forcément les mêmes idées. Ainsi, les collectifs se relayent dans un “entre soi” les mêmes infos, mais également font de la “pêche” à travers différents dispositifs de propagande : les plateformes sociales, Twitter, Facebook, Instagram, Youtube, des plateformes WebTV/Radio comme FranceSoir, Cnews ou SudRadio." (...)

Le canal Telegram anglophone, The White Rose, ne se gêne pas pour partager "comme sources sûres" une série de sites et canaux Telegram qui partagent "sans retenue" des liens vers des sites et pages web où prolifèrent des théories du complot, mais également des réseaux pro-armes, républicains, et évidemment quelques groupuscules d’extrême-droite. (...)

Voici quelques canaux
(...)

Les sites proposées par le groupe qui offrent une information "fiable et crédible", plongent à fond dans la complosphère américaine (...)

Sur le canal francophone La Rose Blanche, plus récent, nous identifions quelques références à Reinfocovid et Faits & Documents. Ce dernier est une lettre bimensuelle de 12 pages de contenu classé à l’extrême-droite, qui traite essentiellement de l’actualité, en relayant de nombreuses théories du complot et en produisant des enquêtes qui servent à mettre en lumière les "travaux des obédiences maçonniques", le lobby juif, pharmaceutique, etc. (...)

Lire aussi :

Reinfocovid – quand l’extrême droite s’empare de l’épidémiologie
Depuis plusieurs mois, que ce soit sur internet ou dans les manifestations, nous avons rencontré des “militants” de Reinfocovid. Nous avons écouté attentivement leurs concepts, leurs idées et leurs théories. Pour comprendre ce que fait ce « collectif de collectifs » qui rassemble des personnalités issues de différentes sphères et domaines de la société, nous avons voulu lancer une enquête. (...)

Il est important de comprendre qui sont ces médias d’extrême droite et quelle est la partie centrale de leur ligne éditoriale.

"Actifs dès les débuts de l’histoire d’Internet, ces sites d’informations et ces blogs, ainsi que des actions diverses telles que des campagnes sur les réseaux sociaux, permettent de contourner les médias de masse afin de diffuser des thématiques classiques de l’extrême droite comme l’opposition à l’immigration, à l’Union européenne, au mariage homosexuel et aux médias et de propager des idées comme le racisme, l’antisémitisme, l’antisionisme, l’islamophobie, l’homophobie, le négationnisme ou le néonazisme." (...)