
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, fin 1991, la Russie a perdu près de 6 millions d’habitants. Le retour des Russes naguère installés dans les « républiques sœurs » et un solde migratoire positif n’ont pu que limiter les effets d’un solde naturel très négatif. Sur un territoire grand comme deux fois le Canada ou la Chine (trente fois la France), la Russie ne compte plus que 142,9 millions d’habitants (2). « Sa plus grande pauvreté, c’est la faiblesse de sa population sur un territoire immense », confirme M. Anatoly Vichnevski, directeur de l’Institut de démographie de l’université d’Etat de Moscou.
Les projections les plus pessimistes des Nations unies évoquent une population ramenée à 120 millions d’habitants en 2025 (128,7 millions pour le scénario moyen), avant un déclin plus rapide ; le dernier scénario moyen du service des statistiques de l’Etat fédéral (Rosstat), lui, table sur 140 millions à cet horizon.
(...) Si la faible natalité de la Russie ne détonne guère en Europe, la mortalité, très élevée — en particulier chez les hommes —, représente un cas d’espèce. Avec une espérance de vie à la naissance de 62,7 ans en 2009 (74,6 pour les femmes), les hommes russes sont les plus mal lotis du continent, et restent bien en dessous de la moyenne mondiale (66,9 ans en 2008). Alors que les Occidentaux ont gagné une dizaine d’années d’espérance de vie depuis le milieu des années 1960, les Russes n’ont toujours pas retrouvé leur niveau... de 1964 ! (...)
La Russie capitaliste n’a retrouvé qu’à la fin des années 2000 un revenu équivalent à celui de la fin de la Russie soviétique (5).
C’est la période de la prédation des biens publics et du pillage des ressources naturelles au profit d’une petite poignée de privilégiés, le plus souvent issus de l’ancienne nomenklatura. Les choix de ses premiers dirigeants, conseillés par des Occidentaux — dont l’Américain Jeffrey Sachs ou les Français Daniel Cohen et Christian de Boissieu (président du Conseil d’analyse économique) —, ont fait de la Russie le pays d’Europe où les inégalités sont les plus fortes, et parmi les plus élevées du monde.
Ce délabrement s’est accompagné d’un débordement des morts violentes. Actuellement, le taux de suicide des hommes se situe au deuxième rang mondial, et le taux de mortalité sur la route (33 000 morts par an) est le plus élevé d’Europe, tout comme le taux d’homicide (6). (...)
La Russie est parmi les pays du monde où l’on rencontre le moins de membres actifs dans les associations. (...)
« A l’exception de la classe privilégiée, les Russes ne se préoccupent plus de leur condition physique. La Russie reste bien placée dans les compétitions du fait de sa politique élitiste de sélection précoce, mais il n’y a plus de sport de masse. »
La vodka demeure le problème de santé publique numéro un. (...)
En remplaçant le système étatique centralisé par une assurance-maladie obligatoire, financée par des cotisations salariales, la réforme de la santé de 1993 devait remédier au sous-financement chronique et au gaspillage. L’introduction d’une décentralisation non maîtrisée et la mise en concurrence des compagnies d’assurance privées se sont avérées inefficaces et coûteuses. (...)
Le redressement économique des dernières années et le retour de l’Etat ont tout de même permis que des progrès interviennent. Grâce à des programmes spécifiques visant à instaurer une meilleure couverture du territoire pour les soins cardiaques ou les urgences routières, les maladies cardio-vasculaires et les décès après accident sur la route commencent à refluer. La mortalité infantile a été divisée par deux en quinze ans et rejoint le niveau des pays occidentaux (7,5 ‰ en 2010). A Tver, le centre périnatal est déjà bien équipé, et un centre cardio-vasculaire est en travaux — cinq sont prévus dans la région.
La politique de santé prend actuellement un virage attendu de longue date. (...)
Malgré la multiplication des programmes, on voit mal cependant comment l’état sanitaire pourrait s’améliorer sans une évolution des conditions sociales ; or la réduction des inégalités par le soutien aux plus démunis (personnes seules, retraités, ruraux) et une politique fiscale plus redistributive ne semblent pas à l’ordre du jour. (...)
La question de l’immigration est marquée par l’ambiguïté du pouvoir, qui cherche à répondre au défi démographique tout en flattant une opinion repliée sur un nationalisme ethnique, dans un contexte de montée de la xénophobie. (...)
« La Russie a toujours été multiculturelle, dit Alexander Verkhovsky, du Centre Sova, qui étudie les dérives xénophobes. En URSS, on partageait une citoyenneté, mais aussi une langue et une formation. Aujourd’hui, les migrants, même quand ils viennent de républiques russes, sont de plus en plus éloignés de la société russe. La peur fait que tous ceux qui n’ont pas l’air russes sont perçus comme des extraterrestres. » L’hypocrisie touche à son comble avec l’immigration clandestine. Celle-ci fait l’objet de dénonciations unanimes, sans que rien ne soit fait pour s’attaquer aux filières d’exploitation, ni pour mettre en place un programme d’intégration digne de ce nom.
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