
Le gouvernement souhaite expulser les projets non agricoles de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Mais la ruralité ne se limite pas aux travaux des champs et à l’isolement. De la maison de retraite à l’auberge en passant pas la bibliothèque, la zone fourmille de lieux culturels et de vie collective.
Dans le cadre du processus de négociations avec l’État, des habitants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes ont déposé quarante-et-un formulaires d’installation à la préfecture à Nantes, dont treize décrivent des activités artisanales, sociales et culturelles. Ces projets sont dans le collimateur du gouvernement, qui ne veut prendre en compte que les projets agricoles. Reporterre vous entraîne à la découverte d’un échantillon de ces ateliers et lieux de sociabilité, en deux volets :
La filière bois et la forge ici,
L’auberge des Q de plomb, le projet de maison intergénérationnelle et l’Ambazada aujourd’hui. (...)
À la ferme de Bellevue, entre la cuisine collective, le Free Shop, le stand d’accueil et un des points Médics de la Zad, difficile de louper l’énergie communicative et la gouaille de Berthe. À « bientôt 70 » printemps, la Finistérienne n’a pas l’intention de troquer la lutte contre la maison de retraite. « Mon ami Paul — 84 ans — et moi avons des copains qui partent en Ehpad [Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. Quand vous n’êtes plus productif, on vous case dans des établissements où vous n’avez plus aucune liberté. Mais nous voulons continuer à cultiver notre jardin tant que nous le pouvons, cuisiner ensemble et avoir des échanges intergénérationnels. En un mot continuer à vivre ! » Pour s’inventer un avenir plus désirable, elle a entraîné une dizaine de personnes de sa génération dans la création, pendant l’été 2017, d’un groupe baptisé « Vivre à tous âges sur la Zad ». Ce collectif informel se réunit un mardi sur deux à 16 h pour réfléchir à un projet de maison commune. Une façon aussi d’inscrire la Zad dans la durée et dans la diversité de ses activités, après l’abandon du projet d’aéroport. (...)
Aux Q de plomb, Jules désaltère la lutte
À moins d’un kilomètre de là, au Liminbout, l’auberge des Q de plomb offre un autre lieu de convivialité aux habitants de Zad. En face, un enclos où folâtrent trois petits cochons. Dans les toilettes sèches, un tome fatigué de Rubrique à brac de Gotlib. Sur le comptoir, des verres en plastique consignés marqués du logo « Aéroport, non ! ». Casquette vissée sur le crâne et barbe de dix jours, Jules ] tient le zinc depuis 2005. À son rythme de croisière, il sert le deuxième vendredi de chaque mois un dîner à prix libre, cuisiné à partir de produits de la zone et arrosé de bière locale brassée par un soutien de la lutte — le brasseur de la Zad ne produit pas encore suffisamment pour faire trinquer tous les convives. Une fois par trimestre, le week-end, un banquet d’au moins cinquante personnes est organisé sur le même principe. (...)
« Notre valeur, c’est l’entraide. Cinq cents à six cents personnes sont arrivées le premier jour des expulsions. Sans les gens qui vont au contact des gendarmes, on serait mort. Moi, je n’y vais pas, mais je leur permets de se détendre en leur servant des bières à la fin de la journée. » D’ailleurs, quatre visiteurs entrent, dont deux Corses qui se transmettent un poste d’ambulancier chargé de conduire les blessés de la Zad à l’hôpital. « Habituellement, je vis dans un lieu alternatif en Corse mais je n’ai pas hésité longtemps à venir quand j’ai vu ce qui se passait ici », confie le plus jeune. (...)
Mais l’auberge est en danger, comme les autres activités alternatives non agricoles de la Zad. « Je suis expulsable depuis le 31 mars », lâche Jules, amer. Des camarades ont déposé pour lui un formulaire simplifié à la préfecture à Nantes. « Deux choses. Une, je suis locataire. Si les flics veulent m’évacuer, il faudra qu’ils me prennent physiquement et me jettent dehors. De l’autre, si les camarades de la Zad se font virer, je quitterai la région aussi. Mais si on arrive à gérer cette crise comme en 2012, on a un bel avenir devant nous. On a un mode de vie agréable, on peut parler de politique, on n’est pas dans la surconsommation. Regardez les gens de Tarnac, ils ont mis dix ans à ce que leur innocence soit reconnue, ça a été une galère mais maintenant, c’est fait ! » (...)
La bibliothèque accueille aussi des animations, des soirées et des rencontres avec des auteurs. Dernier événement en date, un appel à lire des textes de résistance le 22 avril dernier, qui s’est transformé en une déambulation jusqu’au Gourbi entrecoupée de lectures allant de Pierre Rabhi à Kropotkine, en passant par Lucrèce et Thoreau. (...)
