
C’est une idée fixe. Après s’être attiré les foudres des syndicats, mais aussi celles de l’ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot, pour avoir demandé de pouvoir engager « de façon transitoire » des jeunes à un salaire inférieur au Smic, Pierre Gattaz est revenu à la charge. Dans une tribune publiée par Les Echos, le Président du Medef a suggéré au gouvernement d’accepter « de regarder dans certaines circonstances, de manière temporaire et sous certaines conditions (par exemple de formation) - la possibilité de créer un revenu temporaire d’entrée en emploi dérogeant au sacro-saint niveau du Smic ». La formulation est plus prudente ; elle ne saurait masquer la violence du propos.
Ils disent et ne font pas
Il est souvent mal vu de se dispenser d’appliquer les conseils que l’on prodigue à autrui. En révélant que M. Gattaz a perçu, en tant que patron de l’entreprise Radiall, une rémunération en hausse de 29% en 2013, Le Canard Enchaîné a eu le grand mérite de remettre au centre du débat la question des inégalités. Pascal Lamy, socialiste proche de François Hollande, avait lui aussi donné des leçons de modération salariale et souhaité la création de « boulots qui ne sont pas forcément payés au smic ». Sans doute avait-il oublié qu’en 2009, lorsqu’il dirigeait l’Organisation Mondiale du Commerce, il avait demandé une augmentation de 32%, fort heureusement refusée. Pascal Lamy gagnait déjà 316 000 euros par an.
Les adversaires du salaire minimum sont politiquement discrédités par leurs rémunérations outrancières. Par ailleurs, leurs arguments économiques sont extrêmement faibles. Pour M. Lamy, déroger au Smic permettrait de « franchir les espaces symboliques » et de « rentrer dans la réalité ». Comme M. Gattaz, il feint de ne pas savoir que dans les entreprises françaises, le Smic n’a plus rien de « sacro-saint ». Des stagiaires indemnisés 436 euros, voire pas du tout, aux salariés payés à la tâche en passant par les jeunes en contrat de formation en alternance (rémunérés 25% à 80% du SMIC), il existe de multiples cas dans lesquels le travail est payé sous le Smic. (...)
Contraint de tenir compte du tollé soulevé par ses propos, M. Gattaz a apporté une précision de taille dans sa nouvelle proposition du 29 avril 2014 : le Smic serait réduit mais « des mécanismes d’accompagnement social pourraient venir compléter le revenu du salarié ». Instruit par Laurence Parisot du caractère « esclavagiste » de sa proposition, Pierre Gattaz fait donc appel à l’Etat pour rendre sa proposition plus supportable. Cette contradiction propre au néo-libéralisme soulève une question essentielle : si les employeurs payent la force de travail à une valeur de plus en plus éloignée de celle que la société juge « minimale », de sorte que l’Etat règle à leur place une part croissante des bas salaires, pourquoi les salariés devraient-ils continuer à travailler exclusivement pour leur employeur privé ?
L’Etat a déjà pris à sa charge une partie des bas salaires : 22 milliards de cotisations par an sont payées par le contribuable au lieu d’être réglés par l’employeur. (...)
François Hollande et Manuel Valls vont amplifier ce flux. Le Premier ministre a annoncé que pour un salaire brut au niveau du Smic, la totalité des cotisations patronales de sécurité sociale seront réglées par l’Etat dès le 1er janvier 2015. Pour l’employeur, seules les cotisations de l’assurance-chômage et de retraite complémentaire (Arrco) seront maintenues, pour un taux compris entre 11 % et 12,5 % selon la taille de l’entreprise. Par ailleurs, à partir de 2016, la cotisation patronale de la branche « famille » baissera de 1,8 point sur les salaires inférieurs 3,5 Smic.
Si on tient compte, en outre, de l’existence du RSA-activité et de la Prime Pour l’Emploi pour compenser des salaires mensuels jugés trop faibles, on voit qu’à l’ère néo-libérale, le travail salarié - et donc le capital - a de plus en plus de mal à exister sans subvention publique. (...)
Si la France a été un des pays européens les moins touchés par la crise en 2009, ce n’est pas grâce à Nicolas Sarkozy mais en raison d’acquis sociaux (protection sociale, SMIC) qui ont joué un rôle économique très positif en limitant les chutes de revenu. Ces rigidités sont précieuses. Elles nous empêchent de sombrer dans la déflation. Il faut les maintenir et même les améliorer.