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Libération
La carrière d’un enseignant-chercheur dérape après des mails racistes
Article mis en ligne le 13 septembre 2013

Le doctorant sénégalais, chargé de travaux dirigés à la faculté de droit de La Rochelle, avait implicitement menacé un étudiant qui lui envoyait des messages racistes.

Alioune Gueye est intarissable. L’enseignant-chercheur sénégalais revient inlassablement sur sa carrière universitaire, ses états de services « irréprochables » et surtout, cette « histoire de mails racistes ». Après avoir joué le jeu de la discrétion pendant des mois sur les conseils des mandarins de la fac de droit de La Rochelle, le doctorant ne veut plus se taire. Surtout depuis que son contrat d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (Ater) n’a pas été renouvelé à la fin de l’année scolaire. Le juriste, après avoir contacté le quotidien Sud Ouest, menace aujourd’hui de saisir le tribunal administratif.

Les faits remontent à novembre 2012. Gueye, qui prépare une thèse sur le règlement intérieur du parlement européen, encadre un travail dirigé (TD) de droit public. La consigne a été donnée aux élèves de rendre une synthèse d’une copie-double. Quand l’un d’eux lui présente un devoir de six pages, Alioune Gueye refuse de corriger la copie, « pour être équitable avec les autres étudiants ». Le ton monte entre l’élève et le professeur, qui menace de lui coller un zéro. De retour chez lui, l’étudiant de 22 ans envoie un long mail à Gueye, dans lequel il considère que « selon [son] humble avis, un Africain ne peut pas faire de telles corrections. »

L’enseignant affirme avoir découvert le message deux jours plus tard, dans sa messagerie professionnelle. « C’était un véritable roman, incroyablement raciste » dit-il. Il transfère le message à son supérieur hierarchique et répond vertement à l’étudiant. Qui réplique en long et en large, dans un style maurassien qu’il a peaufiné sur des blogs d’extrême droite dont on trouve encore des traces aujourd’hui. Excédé, Gueye dérape : il écrit à l’étudiant de venir lui répéter ses propos « face à face à la bibliothèque ». Avant de conclure : « Ce problème, nous le réglerons quand vous voudrez en dehors de la fac. »
« L’affaire a été réglée à l’amiable »

Selon le doyen de l’université, André Giudicelli, « l’affaire a été réglée à l’amiable ». L’étudiant n’est pas inquiété, on se contente de le changer de TD et de rappeler aux élèves le respect qu’ils doivent aux enseignants. « On ne pouvait pas faire plus, explique le doyen. Parce que si l’on traduisait l’étudiant en conseil de discipline, on se devait aussi de prendre une sanction forte contre M. Gueye. En proférant de telles menaces, il s’est mis en position difficile. Il n’a pas eu le comportement normal d’un enseignant-chercheur, mais nous avons préféré en rester là pour protéger sa réputation. »

Sur les conseils de Marc Blanquet, son chargé de thèse à l’université de Toulouse, Alioune Gueye accepte ce « jugement à la Salomon » et se remet au travail. Mais les relations avec les deux autres chargés de TD et ses supérieurs hierarchiques se dégradent. (...)

A la fin de l’année universitaire, Alioune Gueye n’est pas reconduit, alors qu’il avait été recruté en première position lors de la rentrée précédente. Il envoie sa candidature à trente universités à travers la France. A ce jour, aucune réponse positive, alors que plusieurs lui avaient offert un poste l’an dernier. « Qui bloque mon dossier ? Je ne demande qu’à partir de La Rochelle », s’indigne le doctorant. Il avait jusqu’alors effectué un sans-faute, assurant pendant quatre ans les TD à Toulouse sans qu’aucun incident ne soit rapporté. Jean-Arnaud Mazères, professeur émérite de droit public à Toulouse, voit toujours en lui « un garçon intelligent, sérieux, qui avait fait sous ma direction un mémoire brillant. Je suis très surpris de voir comment les choses tournent pour lui actuellement ». (...)