
Après une campagne présidentielle en ordre dispersé, gauches et écologistes vont aux législatives rassemblés sous le drapeau de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale. Cette dynamique inespérée offre la chance d’un changement par la voie parlementaire contre l’absolutisme présidentiel.
(...) Le mérite en revient d’abord à La France insoumise (LFI), qui a su assumer la responsabilité historique que lui confère le score présidentiel de Jean-Luc Mélenchon (21,95 % des suffrages exprimés), lequel est consacré pour la seconde fois leader objectif du camp de l’alternative aux droites réactionnaires et conservatrices, sous leurs divers atours.
Le candidat et son mouvement ont su apprendre de leur erreur de 2017, où cette opportunité n’avait pas été saisie, au point de transformer leur performance partisane en défaite collective des gauches. À l’époque, Jean-Luc Mélenchon avait obtenu 19,58 % des suffrages exprimés quand son challenger à gauche, Benoît Hamon, derrière lequel s’étaient rangés les écologistes, en obtenait 6,36 %, soit précisément la somme des scores obtenus en 2022 par Anne Hidalgo et Yannick Jadot (6,38 % des exprimés). (...)
Le choix de La France insoumise de mener la campagne présidentielle de 2022 sous le label d’une « Union populaire », rassemblant dans son parlement des figures des mouvements sociaux à l’instar d’Aurélie Trouvé, portait déjà la promesse d’une ouverture à la diversité et à la pluralité des gauches démocratiques, sociales et écologistes.
Sans naïveté sur les calculs politiques qui accompagnent la quête du pouvoir, force est de constater que les négociations sans exclusives ouvertes dès le lendemain de la réélection du président sortant ont confirmé cet engagement.
Il est à la mesure du danger qu’a promu et accru cette élection présidentielle : non seulement la menace d’une extrême droite plus puissante que jamais (ses trois candidat·es totalisent 32,28 % des suffrages exprimés au premier tour, contre 27,85 % à Emmanuel Macron), mais surtout la gangrène persistante du débat public, médiatique et politicien, voire intellectuel, par ses obsessions identitaires et inégalitaires, nationalistes et racistes.
Empêcher que l’extrême droite soit au seuil de l’Élysée en 2027
Or, d’expérience vécue, largement documentée sur Mediapart depuis cinq ans, nous savons que le président réélu sera incapable de les faire reculer, voire de les combattre. Jouant sans cesse avec le feu qu’il prétend ensuite éteindre, il n’a pas seulement cédé à l’extrême droite du terrain idéologique, recul dont sa loi sur le « séparatisme » est le symbole, mais il lui a, de plus, offert les ressentiments et colères que suscite sa politique, fond et forme mêlés, une morgue hautaine et prétentieuse se surajoutant à sa violence sociale et policière.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets (...)
À cette nécessité antifasciste s’ajoute un impératif démocratique. Cette élection présidentielle a rendu encore plus manifeste l’épuisement du système institutionnel français de la Ve République, au point que les constitutionnalistes eux-mêmes reconnaissent qu’il ne remplit plus sa mission de représentation du corps électoral. Un nombre de plus en plus croissant de citoyennes et de citoyens s’en sentent exclus, ni reconnus, ni concernés. (...)
Une majorité d’électeurs souhaite l’alliance des partis de gauche
L’enquête de terrain d’Ipsos pour France TV et Radio France (échantillon de 4000 personnes inscrites sur les listes électorales) confirme cette faible légitimité présidentielle : 42 % des votant·es du second tour pour Emmanuel Macron y disent avoir eu pour seule motivation le barrage à l’extrême droite. Si l’on y ajoute l’ampleur des abstentions (28,01 % des inscrit·es), augmentées des blancs et nuls (6,23 %), on mesure que la majorité des électrices et des électeurs n’a pas adhéré au projet du président réélu et n’a aucunement souhaité lui signer un chèque en blanc.
Ce que confirment amplement les autres résultats de l’enquête Ipsos (...)
Qu’ils viennent du camp présidentiel ou de la gauche hollandaise, sans compter leurs nombreux relais médiatiques, les cris d’orfraie suscités par la perspective d’une union des gauches et des écologistes en bon ordre de bataille pour les législatives n’en sont que plus sidérants. Les mêmes qui, il y a quelques jours à peine, sermonnaient l’électorat de gauche rétif à faire barrage à l’extrême droite en votant Macron malgré son bilan ne voient pas désormais de plus grand danger qu’une union de la gauche et de l’écologie derrière Jean-Luc Mélenchon.
À les entendre, le péril d’extrême droite se serait soudain évanoui au profit d’une menace plus grave encore, celle d’un alignement des gauches sur l’extrême gauche. Donnant la main à l’habituel refrain horrifié des classes dominantes face aux mobilisations populaires – « Plutôt Hitler que le Front populaire » –, ce conte à dormir debout fait litière de toute l’histoire des conquêtes démocratiques et sociales qui n’ont jamais été octroyées par en haut mais toujours obtenues d’en bas, par la dynamique des mobilisations des premiers concernés, dépassant les querelles boutiquières et les clivages partisans, tout en inspirant et radicalisant les programmes électoraux. (...)
le portrait improbable de Jean-Luc Mélenchon en épouvantail gauchiste ne fait qu’exprimer leur peur panique d’un changement radical, tant ils se sont convertis à l’ordre social dominant. (...)
Quant aux cohérences, elles sont à rechercher du côté des accords programmatiques publics signés par les partenaires de la Nouvelle Union populaire plutôt que de celui des attelages baroques du macronisme (...)
Demeurer lucide sur la part tactique de cette évolution, tant elle reste à approfondir, notamment sur les questions internationales (la relation avec la Russie poutinienne) et les pratiques démocratiques (l’indépendance de la justice et le pluralisme de la presse), n’empêche pas de constater et reconnaître ses avancées concrètes : un engagement électoral accru des jeunesses des quartiers, une représentation renouvelée des classes populaires, l’émergence de nouvelles personnalités, à l’image d’une France multiculturelle. (...)
Le temps presse. Il ne s’agit rien de moins que de remettre la République sur ses bases afin d’éviter qu’elle ne sombre. (...)
Saisir la chance inespérée de l’union des gauches, c’est tout simplement agir dans la continuité du barrage au néofascisme que signifiait le vote pour le candidat de gauche le mieux placé au premier tour et pour le président sortant au second tour de l’élection présidentielle – dans les deux cas pour éviter soit que Marine Le Pen parvienne au second tour, soit qu’elle soit élue ensuite par lassitude, et par malheur.
En revanche, ne pas saisir cette chance, au point de la caricaturer jusqu’à l’insulte, c’est se faire complice des ombres qui gagnent.