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« La crise du coronavirus peut renforcer le néolibéralisme »
Article mis en ligne le 28 mars 2020
dernière modification le 27 mars 2020

Selon Aurélie Trouvé et Xavier Timbeau, respectivement économistes d’Attac et de l’OFCE, les réponses du gouvernement ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.

Un confinement aussi strict pour les Français que souple avec les activités économiques, un plan d’aide économique généreux avec les banques mais impuissant dans les hôpitaux… Depuis le discours d’Emmanuel Macron, qui promettait, le 12 mars, de faire de l’urgence sanitaire une urgence absolue « quoi qu’il en coûte », les actes du Président ont contredit sa parole. Sa gestion de la crise indique une tendance inquiétante pour l’après, préviennent Aurélie Trouvé et Xavier Timbeau, économistes d’Attac et de l’OFCE. (...)

Aurélie Trouvé : Tout n’est pas fait pour assurer qu’il y ait le moins possible de vies perdues. Deux milliards d’euros d’aides ont été annoncés pour les hôpitaux, quand les représentants et les collectifs inter-hôpitaux demandent au moins 4 milliards : il faut revaloriser les salaires du personnel soignant, répondre aux besoins de matériel et embaucher pour compenser des années de casse des hôpitaux publics. Il faudrait également réquisitionner un certain nombre d’établissements privés, de médecins libéraux, de lits et de laboratoires ainsi que des entreprises de production de matériel médical et pharmaceutique. J’ajouterai l’annulation pure et simple des dettes des hôpitaux. Emmanuel Macron nous parle d’une économie de guerre, mais les décisions ne sont pas à la hauteur.

Nous voyons bien également qu’il est encore question de mobiliser le monde du travail. Le gouvernement tente de faire en sorte que l’économie et les entreprises puissent repartir le moins mal possible, quitte à ne pas mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires. C’est un choix fondamental qui est extrêmement critiquable.

Xavier Timbeau : Le pire serait de penser qu’il existe un tabou sur telle ou telle politique, face à la crise. Il faut pouvoir tout mettre en œuvre, y compris, si besoin, des réquisitions et des nationalisations. Malgré tout, nous devons pouvoir passer cette crise sanitaire en minimisant les conséquences humaines, mais aussi en préservant, dans une certaine mesure, notre mode de vie pour le futur. Il ne faut donc pas négliger la partie économique de la réponse, même si, évidemment, les priorités sont sanitaires et humaines.

Je partage la critique d’Aurélie Trouvé quant à la sincérité du Président lorsqu’il dit privilégier la santé. Quand on analyse la réponse des différents gouvernements aujourd’hui dans le monde, on s’aperçoit que les questions économiques arrivent très vite en ligne de mire. (...)

Nous ne pouvons pas totalement exclure la dimension économique, et il faudrait probablement mettre ce débat très clairement sur la table pour que chacun ait conscience des arbitrages qui sont faits. Ça peut paraître cynique, mais, si nous ne menons pas ce débat, nous nous payons de mots, alors que les décisions sont finalement prises à huis clos. Nous devons accepter le calcul économique des décisions de santé pour ne pas laisser d’autres que nous faire des choix qui ne sont pas ceux que nous aurions faits. (...)

A. T. : Il sera intéressant de voir comment les lourdes conséquences économiques de cette crise sanitaire seront traitées. Nous verrons notamment si les « décisions de rupture » dont a parlé Emmanuel Macron seront prises. Il faut se souvenir que le discours de Nicolas Sarkozy pendant la crise de 2008, qui prônait déjà une rupture, n’a pas été suivi des mesures qui auraient permis de désarmer les marchés financiers et d’aborder de manière plus sereine aujourd’hui la crise financière qui va probablement se dérouler.

Il serait urgent qu’il y ait une solidarité européenne beaucoup plus forte au sujet des dettes publiques (...)

Que devrait faire le gouvernement ?

A. T. : Il faut prendre en compte complètement et avant tout la question sanitaire et répondre aux demandes du personnel hospitalier. Les décisions immédiates envoient également un signal politique : 2 milliards sont débloqués pour les hôpitaux, alors qu’on débloque 10 milliards d’aides directes pour les entreprises. Ensuite, nous sommes face à une crise économique qui ne ressemble pas à celle de 2008. Le confinement fait s’effondrer l’offre et la demande. L’économie marchande ne peut donc plus fonctionner comme d’habitude. Le risque est réel, avec l’effondrement des Bourses, que cela débouche sur une suppression massive d’emplois.

Il faut des réponses fortes : nous pourrions très bien envisager des taxes exceptionnelles sur les bénéfices des entreprises qui, grâce à cette crise, se portent très bien, comme Netflix ou Amazon. Nous proposons la suspension immédiate du versement des dividendes pour préserver l’emploi et les investissements productifs. Ce sont des décisions qui ont déjà été prises dans des périodes de guerre par certains gouvernements. C’est une question de volonté politique.

De la même façon, la BCE a annoncé l’injection de 750 milliards d’euros de liquidités par du rachat d’actifs : elle devrait réserver ce programme aux États et aux collectivités qui répondent à la crise sanitaire et viennent en aide aux plus démunis, qui sont les plus exposés, et le conditionner à la transition écologique. Cela suppose de changer totalement de logiciel. (...)

Après la crise de 2008, le néolibéralisme s’est montré extrêmement résilient. Il faut s’attendre à ce qu’il le soit à nouveau face au coronavirus.

Ce qui me semble probable, en revanche, c’est que la mondialisation soit fortement impactée par cette crise. Il est difficile de faire cohabiter globalisation et souveraineté, et le renforcement des États sera antinomique avec la mondialisation. Et puis tout le monde va désigner l’étranger comme le porteur de la maladie. Repli sur soi et xénophobie devraient se justifier par le risque sanitaire…

Il ne faut donc pas se tromper de cible et de combat. Le monde de demain peut parfaitement rester néolibéral, mais se teinter, avec le souverainisme et la xénophobie, de nouvelles caractéristiques qui le rendront peut-être plus détestable que celui de la finance globalisée.