
Professionnels du tourisme, de l’événementiel ou de l’hôtellerie-restauration, ils n’exercent plus leur métier depuis plus d’un an. Abonnés aux contrats courts, ils songent à se reconvertir. Des secteurs entiers voient partir de précieux profils, lassés par la précarité et préoccupés par la réforme de l’assurance-chômage.
Que restera-t-il de l’art de vivre à la française et de son rayonnement culturel, lorsqu’il n’y aura plus personne pour en parler ? » Malaïka est guide-conférencière à Paris. À 36 ans, elle s’interroge sur son avenir et celui de son métier.
Malaïka n’a pas exercé depuis début 2020. Ses droits au chômage ont fondu. À la fin de l’été, elle avait trouvé un « job alimentaire » de vendeuse. La mission a été interrompue par le second confinement, fin octobre. Actuellement, elle est « hôtesse d’accueil volante », envoyée ici et là, au gré des besoins des entreprises.
« Transformée en meuble, je dois me contenter de sourire, d’accueillir quelques rares visiteurs et de répondre au téléphone dans de grands immeubles de bureaux vidés de leurs occupants », décrit-elle dans un billet de blog, publié le 4 avril. « Je me suis levée tôt, un matin, et j’ai écrit sans m’arrêter », explique Malaïka à Mediapart. (...)
Elle tenait à mettre des mots sur son parcours, son métier, sa passion. À décrire par le menu ses conditions de travail – les employeurs multiples, les contrats qui s’enchaînent, les périodes creuses, où les missions sont plus rares, et le recours, de plus en plus massif et forcé, au statut d’auto-entrepreneur, qui « tire les prix des prestations vers le bas et accentue la précarisation de tous ».
Malaïka voulait aussi partager ses inquiétudes sur le devenir de sa profession. « Dans mon réseau, beaucoup ont jeté l’éponge. Que va-t-il rester quand tous seront reconvertis ou poussés à la misère ? »
« C’est une préoccupation cruciale », confirme Patrick Pavesi, président de la Fmitec, Fédération des métiers intermittents, tourisme, événementiel, culture. Lui-même est guide-conférencier. Pessimiste, il pressent un retour à la normale d’ici à deux ans. Pas avant. « La clientèle étrangère, public majoritaire de nos activités, ne reviendra pas tout de suite. »
Patrick Pavesi en est persuadé : les rangs des professionnels seront clairsemés. « Beaucoup sont partis faire autre chose. Par choix ou nécessité, détaille-t-il. La France va subir une réelle perte de savoir-faire. Nous avions déjà constaté un manque de renouvellement dans nos métiers ces dernières années. Cette crise ne va rien arranger. » (...)
Comme Mediapart l’a déjà raconté ici ou là, de très nombreux salariés en CDD ou CDDU (contrat d’usage) ont été violemment percutés par la crise dans les secteurs du tourisme, de l’événementiel et de l’hôtellerie-restauration. Leurs métiers, par essence, ne s’exercent pas en CDI. Les contrats, missions et employeurs se succèdent, selon les besoins.
Dès le début de la crise, ils se sont retrouvés éjectés, hors de tout cadre. Plus de travail, pas de chômage partiel, pas de gel des droits au chômage et plus aucune perspective dans des secteurs à l’arrêt. Ils alertent, en vain, les pouvoirs publics sur leur sort depuis treize longs mois. (...)
Pour couronner le tout, la réforme de l’assurance-chômage s’annonce particulièrement punitive pour ces intermittents de l’emploi. Tous les interlocuteurs que Mediapart a contactés pour la rédaction de cet article l’évoquent. Cette réforme est, à leurs yeux, une réelle menace. Sombre et proche. Ils seront les premiers pénalisés par le nouveau mode de calcul des allocations-chômage, dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er juillet 2021. (...)
« À cause de la crise, ce sont les plus pros d’entre nous qui arrêteront. Ça va être une catastrophe. Qui pourra assurer ? » (...)
Côté employeurs, justement, comment regarde-t-on l’avenir ? La fuite des profils est un vrai sujet, selon Thierry Grégoire, président national de la branche saisonniers de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih). Il est également chargé des affaires sociales au sein de cette organisation patronale. « On pourrait avoir perdu 150 000 emplois à la réouverture de nos établissements », estime-t-il.
Lui-même possède plusieurs hôtels-restaurants à Toulouse et se montre préoccupé. « Dans quel état allons-nous retrouver nos salariés ? Combien seront partis ? »
Le représentant patronal entend mettre à profit cette crise inédite pour « renverser la table » et revoir en profondeur tout le système d’embauche des saisonniers et extras de l’hôtellerie-restauration. Il plaide pour la création d’une annexe spécifique de l’assurance-chômage, « avec un vrai statut pour les extras de tous les secteurs d’activité », à l’image des annexes réservées aux intermittents du spectacle.
« Il faut arrêter de croire que ces travailleurs exercent leur activité juste pour toucher le chômage entre deux contrats », explique Thierry Grégoire. Ce sont, au contraire, des méthodes inhérentes à nos secteurs, à nos façons de travailler. Il faut donc sécuriser les travailleurs en extra en leur donnant un statut. »
Il se dit aujourd’hui bien seul dans cette volonté de reconstruire le système. « Je suis minoritaire dans mon expression. Les partenaires sociaux ne veulent pas en entendre parler. » (...)
Côté gouvernement, la reforme de l’assurance-chômage est censée être la réponse à la « précarité organisée » du marché du travail. Un bonus-malus sur les contrats courts doit s’appliquer et pénaliser les employeurs qui abusent. Mais la mesure ne sera pas appliquée avant l’automne 2022. Soit quelques mois après la présidentielle, ce qui la rend très hypothétique.
En revanche, les allocations-chômage des travailleurs précaires, elles, baisseront dès l’été prochain. (...)
« Ils sont bien contents, dans les ministères et à l’Élysée, quand les extras viennent travailler. Ils sont bien contents quand nous contribuons au rayonnement de la France dans leurs événements et leurs congrès », tempête-t-il. S’ils continuent à nous ignorer, on les sabotera, les prestations ! Roland-Garros, les réunions protocolaires, les Jeux olympiques : on les sabotera ! Peut-être qu’ils comprendront notre utilité. » (...)
« Mais c’est compliqué. Alors j’irai probablement retravailler. Mais croyez-moi, l’investissement ne sera plus le même. J’ai donné sans compter pendant trente ans. Pour quel résultat ? Nous avons été abandonnés et méprisés. Par nos employeurs, par le gouvernement. Maintenant, je sais où est ma place, c’est bon, j’ai bien compris. Et je ferai le strict minimum. »