
Que recouvre le concept de dette écologique ? Comment la définir ?
On entend souvent parler de cette notion selon trois visions des choses :
– a) la dette écologique que nous aurions envers les générations futures pour les dégâts environnementaux que nous leur laissons.
– b) la dette écologique que nous aurions envers la planète, souvent représentée par une date dans l’année à partir de laquelle nous vivons « à crédit » car la terre a épuisé sa capacité à absorber notre empreinte écologique.
– c) l’idée selon laquelle ce qu’on nomme le développement des pays du Nord n’a pu, depuis la colonisation de l’Amérique, se faire uniquement sur base des ponctions naturelles et humaines des pays du Sud. C’est cette idée, apparue dans les années 90 sous l’impulsion d’ONG sud-américaines, qui nous semble la plus pertinente car elle analyse les enjeux écologiques sous l’angle des rapports de domination à l’échelle mondiale.
our comprendre les enjeux liés à la dette écologique, vous allez plus loin et proposez une grille de lecture qui dépasse les relations Nord-Sud. Peux-tu expliquer votre approche ?
On ne rejette pas ce concept Nord Sud en bloc car il permet malgré tout de pointer les responsabilités dans les catastrophes écologiques et climatiques qui s’annoncent. Malgré tout, il est indispensable d’aller au-delà de la vision considérant le Nord et le Sud comme des régions homogènes. Au contraire, ces deux ensembles renferment des groupes sociaux très différents ainsi que des relations d’exploitation considérables et au cœur des problèmes que l’on connaît. Il faut donc considérer le concept de dette écologique sous le prisme des classes sociales, tant au niveau des causes que des conséquences. Peu importe le pays, on constate un accaparement des ressources par une minorité. Or, cet accaparement est bien souvent à la source des déséquilibres écologiques (pensons au lien entre les accaparements de terres par des multinationales et la pratique d’une agriculture intensive). Par ailleurs, au Nord comme au Sud, on constate que ce sont les classes sociales les plus précaires qui subissent le plus les effets des diverses catastrophes écologiques. L’exemple de l’ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle Orléans en 2005 est là pour nous le rappeler.
Comment traduire dans les faits cette dette écologique, comment la reconnaître, y mettre un terme ? (...)
il est clair que cette notion doit conduire à des réparations pour cinq siècles de pillage du Sud. On peut imaginer des transferts de technologies, la restauration d’écosystèmes dégradés ou encore l’alimentation d’un fonds d’atténuation au changement climatique à destination des pays les plus vulnérables. Cela pourrait également justifier des compensations de la part de certains acteurs vis-à-vis de pays en échange de leur engagement à laisser dans le sol les réserves d’énergies fossiles restantes comme l’Équateur l’avait proposé avec l’initiative Yasuni. Par ailleurs, une des raisons pour laquelle le CADTM s’est approprié la question est que l’idée de dette écologique est à elle seule un argument (parmi d’autres) pour justifier l’annulation pure et simple de la dette du tiers-monde. (...)
il faut prendre conscience que les exploitations de la nature et des peuples (à commencer par les travailleurs) sont les deux facettes d’un même système qui ne profite qu’à quelques-uns (actionnaires, multinationales, dirigeants politiques…). Il faut aussi mentionner le fait que nombre de pays du Sud sont dirigés par des leaders obsédés par « rattraper » les pays du Nord et sont par conséquent beaucoup plus motivés par attirer les investisseurs étrangers et/ou continuer à exploiter leur environnement plutôt qu’à viser un développement beaucoup plus autocentré. (...)