
La diplomatie est un « mode de communication dont l’un des principaux attributs est de prévenir ou de régler des différends dans un système international fragmenté. Elle contribue ainsi à la prévention des conflits et la restauration de la paix » (Harroff-Tavel, 2005). Longtemps réservée à la politique, la diplomatie étatique ou encore régalienne n’a cessé d’évoluer, de se transformer sous différentes formes. De nouveaux acteurs sont apparus et notamment des acteurs non étatiques. Par ailleurs, les moyens modernes de communication ont contribué à révolutionner l’activité diplomatique vers de nouvelles pratiques. C’est dans ce contexte d’internationalisation et de mondialisation, que s’est développé un aspect tout à fait original : la diplomatie humanitaire non gouvernementale (DHNG). En effet, cette dernière est devenue depuis une décennie un véritable instrument de la politique internationale dont l’importance et les enjeux n’ont cessé de croître.
(...) Au regard de la complexité des questions et des solutions qu’implique l’intégration de nouveaux acteurs et outils dans la conduite de la politique extérieure, notre objectif est de montrer les aspects tout à fait originaux dans la pratique des relations internationales de nos sociétés modernes.
Émergence d’une diplomatie non gouvernementale : la diplomatie humanitaire
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Si pendant longtemps les diplomates ont représenté leurs États respectifs en ayant le monopole dans l’exercice de la diplomatie, ils ont dû progressivement partager une partie substantielle de la défense des intérêts de leurs pays. Ce partage a dû se réaliser avec d’autres agents qui ne satisfont pas nécessairement aux mêmes impératifs de la vie internationale, ni aux mêmes pratiques. Il s’agit notamment des organisations (internationales ou pas) non étatiques qui promeuvent une diplomatie non gouvernementale : la diplomatie humanitaire. Qu’elles soient régionales ou universelles, politiques ou techniques, de telles organisations mènent à la conduite d’une diplomatie multilatérale. Autrement dit, les diplomates ne sont plus les intermédiaires uniques et privilégiés entre les États.
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À l’heure actuelle, les principaux acteurs de cette diplomatie humanitaire sont représentés par le Saint-Siège, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) [1]
ou encore les fondations [2]
. En outre, il convient d’y ajouter la myriade d’associations, les organisations non gouvernementales (ONG), ou encore ce qu’il est convenu d’appeler désormais les bienfaiteurs 2.0. Ces derniers « représentent une pratique originale tant sur le plan de la forme que des aspects dont ils s’occupent » (Fleury et Soutou, 2005). L’humanitaire est donc devenu par essence polymorphe (...)
La DHNG a une longue histoire, mais elle a été longtemps circonstancielle, c’est-à-dire qu’elle n’intervenait que dans les conflits militaires. Or depuis plusieurs décennies, la DHNG est devenue un instrument de politique internationale dont l’importance et les enjeux n’ont cessé de croître. C’est au début des années 2000 qu’il ne parut plus incongru de qualifier de diplomatie des pratiques et mécanismes mis en œuvre par les ONG. Les ONG se sont même révélées comme de vrais acteurs de la diplomatie moderne. Le lien entre diplomatie étatique et diplomatie humanitaire est donc loin d’être récent. Depuis les années 1960, l’humanitaire a constitué une composante non négligeable des politiques extérieures en prenant le nom « d’auxiliaire de diplomaties étatiques » (Ryfman, 2010). (...)
Néanmoins, l’apparition de nouveaux acteurs, dont l’influence est parfois redoutable pour les États, a pris une place croissante et a marqué le tournant d’un nouveau millénaire. Diplomatie multilatérale, fonctionnement en réseaux, utilisation des moyens virtuels de communication n’en constituent que quelques illustrations.
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La DHNG peut se définir en tant que stratégie d’influence impliquant des interactions avec des acteurs fort différents, dans un but exclusivement humanitaire. On ne peut plus considérer la politique internationale uniquement comme une politique interétatique. En effet, cette dernière est devenue transnationale. (...)
La DHNG agit sur trois axes essentiels : l’environnement, les drames sociaux (et notamment la négation des droits humains) ainsi que la réforme des institutions internationales. Les actions menées par chaque acteur sont des actions collectives mais représentent de véritables projets collectifs. La DHNG est devenue peu à peu partie prenante de la complexité croissante des politiques internationales puisque l’un de ses objectifs est de métaboliser les positions des différents acteurs par les appareils diplomatiques étatiques – et donc de construire, à côté de la diplomatie étatique classique, et non en conflit avec elle, une diplomatie émanant purement et simplement des sociétés civiles.
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Néanmoins, les acteurs de la DHNG restent encore souvent perçus par les pouvoirs publics comme des exécutants des compléments de la politique d’État (...)
Pour l’Occident, mieux vaut une injustice à un désordre. On parle d’humanitaire d’endiguement. Mais les humanitaires n’ont pas vocation à résoudre les crises ; ces humanitaires sont même parfois rejetés par les sociétés opprimées. En dix ans, les contextes d’intervention des organisations humanitaires se sont énormément modifiés car les théâtres d’intervention potentiels sont de plus en plus nombreux du fait de la multiplication des conflits internes, et la sécurité est devenue de plus en plus aléatoire. De plus, en entrant dans l’ère de la mondialisation, on assiste à une concurrence humanitaire, dans laquelle chaque acteur tente d’affirmer la spécificité de ses actions par les recherches de l’excellence, du professionnalisme et la volonté de se doter de normes d’action. La technicité est une caractéristique majeure des acteurs modernes qui développent, avec rigueur, leurs métiers respectifs. Néanmoins, cela fait naître plusieurs risques : celui d’aboutir progressivement à une déshumanisation de l’action humanitaire car axée sur un matérialisme pur, ou encore celui de réserver cette action humanitaire parfaite aux seuls terrains où il sera possible de se déployer de façon optimale. (...)
Du tsunami aux crises alimentaires répétées au Niger, en passant par le Darfour, la Birmanie, Haïti ou le Pakistan, ni la présence ni l’influence des organisations multiformes non étatiques ne paraissent en voie d’être démenties sur les terrains des conflits armés et des catastrophes.
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En parallèle aux actions menées, non sans difficultés, par l’ensemble des organisations actuelles, ont vu le jour des projets humanitaires menés par des acteurs que l’on peut qualifier de bienfaiteurs 2.0. Par conséquent, la diplomatie humanitaire s’en trouve transformée du fait de la révolution numérique. De nouveaux outils interviennent dans la conduite de la politique extérieure comme dans les pratiques diplomatiques non étatiques qui ont trait au domaine de l’action humanitaire, à l’aide au développement, à la défense des droits ou encore à la défense de l’environnement. L’espace humanitaire intègre désormais le numérique en mettant davantage le sens de la responsabilité collective ou citoyenne. (...)
Cette diplomatie humanitaire est devenue multifacette. Elle développe ainsi grâce à Internet une force d’engagement de plus en plus puissante. (...)
Diplomatie humanitaire et impact des TIC sur la mobilisation citoyenne et politique des Rohingya (...)
Une forme d’action qui fait débat : communication et incommunications de la DHNG 2.0 (...)
En conclusion, repenser les actions humanitaires via une mobilisation cybercitoyenne montre la puissance des impacts et des enjeux de la communication numérique. Néanmoins, cette dernière ne doit pas entraîner d’incommunication avec les autres acteurs, au risque d’entraver l’efficacité des actions de cette diplomatie humanitaire multilatérale. Par la voix de sa présidente, Médecins du monde appelle la Love Army à coordonner son action avec les associations humanitaires sur place .
À l’heure actuelle, d’aucuns s’interrogent sur la manière dont l’influenceur peut réussir là où d’autres ont échoué. L’acte est aussi louable que nécessaire. Impressionnant et exceptionnel par sa capacité à mobiliser et à rendre visible un drame qui malheureusement n’occupe que les entrefilets des journaux.
L’utilisation des outils numériques a donc accompagné, accéléré, voire renforcé le rôle de la DHNG. Ils ne doivent pas pour autant l’isoler des pratiques traditionnelles au risque de favoriser une part grandissante d’incommunication entre les acteurs.