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Non Fiction
La domesticité au sommet sous le regard de la sociologie critique
#domesticite #riches
Article mis en ligne le 21 décembre 2022
dernière modification le 20 décembre 2022

Des domestiques parfois extrêmement bien rémunérés et jouissant d’avantages annexes non négligeables sont-ils susceptibles de faire l’objet d’analyses en termes de domination ?

S’appuyant sur un nombre respectable d’entretiens auprès de personnels de maison et de leurs employeurs, mais encore sur de méritoires expériences d’observation participante, Servir les riches entend fournir un panorama de la condition de domestique œuvrant au sein des familles les plus aisées. On ne saurait que saluer les efforts induits par une telle enquête, qu’il s’agisse des habituelles difficultés d’accès à ces milieux sociaux ou de l’ampleur de la recherche de terrain.

Les domestiques aujourd’hui : un sujet de plus en plus étudié

Pour bonne part, cet ouvrage offre d’excellentes illustrations de thématiques ayant déjà été relativement traitées dans la littérature académique sur le sujet : les dimensions fonctionnelles et symboliques de la domesticité, sa visibilité ostentatoire ou sa quasi-invisibilisation, le rapport au corps, à l’espace partagé ou dédié, etc. L’auteure revient également, entre autres, sur la question des prénoms imposés, celle des caprices significatifs des maîtres(ses) et sur les problèmes liés à la division du travail, parfois très poussée.

Cela dit, son livre contient indéniablement des perspectives fort novatrices. Il en va ainsi des passages sur les perceptions croisées des membres de l’aristocratie, généralement habitués à être entourés de domestiques dès leur plus jeune âge, et de « nouveaux riches » qui appréhendent parfois comme une intrusion ce genre de compagnie pourtant indispensable à leur standing. D’où il découle des jugements assez révélateurs, précisément à travers l’image renvoyée par leur personnel respectif, vu soit comme « ringard », soit comme négligé.

De même, l’insistance d’Alizée Delpierre sur l’importance, pour les employés, de disposer de leur propre capital relationnel, ou ses notations sur les bénéfices qu’ils peuvent espérer tirer des conseils du maître de maison en matière de placements financiers sont dignes d’attention. L’auteure propose par ailleurs des descriptions d’interactions particulièrement éloquentes, par exemple sur la personnalisation du service et l’anticipation, s’inscrivant pertinemment dans la lignée d’études à caractère ethnographique (...)

Alizée Delpierre n’hésite pas à mentionner son malaise par rapport à ce quartier du VIIIe arrondissement de Paris où elle ne s’était jamais rendue, et elle juge utile de rendre compte de ses origines familiales, de son propre itinéraire, ou d’évoquer sa difficulté à trouver le sommeil après les révélations d’une journée d’enquête. À l’évidence, il s’agit par ce biais d’affirmer clairement dans quel camp elle se situe. Le recours à un style parfois familier
, guère appliqué, n’est d’ailleurs pas sans renforcer cette impression.

À la réflexion, le sort de plus d’un des domestiques dont les témoignages sont recueillis ici, disposant de rémunérations et d’à-côtés qui les rattachent objectivement aux classes supérieures, n’est pas tellement différent de ce qu’on peut savoir de celui de jeunes recrues des banques d’affaires ou des cabinets ministériels : corvéables à merci, ne comptant pas leurs heures, mais bénéficiant toutefois de revenus élevés et envisageant leur position comme un tremplin (...)