
« Non-lieu », prononce l’avocat. Isabelle Liu, qui a décroché le téléphone, n’a pas tout de suite compris. À 23 ans, la jeune femme regrette, penaude, de ne pas encore assimiler les subtilités du jargon juridique. Jamais elle n’avait eu à s’en soucier avant. « Le juge a décidé qu’il n’y aurait pas d’enquête. » Glacée, elle bégaye en chinois la nouvelle à sa mère. Le policier de la BAC qui a tiré sur son père, Liu Shaoyao, le 26 mars 2017, ne sera pas jugé. Voilà plus d’un mois que la famille tente, difficilement, d’assimiler la décision. (..)
L’événement met en émoi le quartier et la diaspora chinoise. C’est l’une des seules fois que l’un de ses ressortissants meurt lors d’une intervention de la police. Les JT relatent les rassemblements inédits et les émeutes en mémoire de Liu Shaoyao, dans une communauté peu habituée aux manifestations politiques.
L’ambassade de Chine en France demande au gouvernement français de « faire toute la lumière sur cette affaire ».
L’ex-enfant timide porte maintenant la parole de sa famille dans les manifestations pour la mémoire de son père. C’est elle aussi qui parle aux journalistes. Elle, encore, qui gère les rendez-vous avec les avocats ou devant la justice. (...)
« On était persuadé d’avoir justice. Pour nous il n’y avait aucun doute. On a vu ce qu’il s’est passé. » Les policiers de la BAC restent pourtant sur leur position : légitime défense. (...)
« Faites confiance à la justice »
Après avoir porté plainte, dans les jours qui ont suivi son décès, ils ont lâché du lest. (...)
« On s’est posé et on a réfléchi plus calmement », se souvient Isabelle. « Laissez la justice faire son travail », leur conseille-t-on. Il en sera ainsi. Sortie de la sphère médiatique, la famille se reconstruit à l’abri des regards en attendant le retour des juges.
« On a emmené les enfants chez le psy. Je les ai vus hurler, pleurer, ils faisaient des cauchemars terribles. Beaucoup de misère », se souvient Angelina Cai. Les médecins prescrivent un arrêt maladie d’un an et demi à la mère. Isabelle met son master en gestion de côté. Da Zhao retourne au lycée après trois mois. (...)
Passer à l’action
En colère, la famille a décidé d’agir et de sortir du silence qu’elle s’était imposé. « Ça n’a servi à rien. Si on ne se manifeste pas, on est oublié. » Depuis quelques semaines, les frères et soeurs ont ouvert leur page Facebook, « Justice pour Liu Shaoyao », s’inspirant des collectifs en lutte contre les violences policières existants. Le 25 août, ils ont organisé une manifestation devant l’Opéra de Paris pour contester le non-lieu, qui a réuni plusieurs centaines de personnes. (...)