
L’épicentre de la lutte contre la poubelle nucléaire de l’Andra se trouve au bois Lejuc, près de Bure. Depuis juin 2016, les opposants y organisent la résistance, entre cabanes arboricoles et espaces communs.
Mandres-en-Barrois (Meuse), reportage
Si les opposants à Cigéo peuplent désormais les villages alentour, le projet de l’Andra est aussi attaqué en son épicentre. Ce cœur, sous lequel l’Agence espère enfouir les déchets radioactifs, s’appelle le bois Lejuc. Depuis juin 2016, une poignée de militants occupe la forêt afin d’empêcher le début des travaux. Des trois cabanettes branlantes originelles construites en lisière, l’occupation s’est déployée, élevée dans les arbres, structurée. Le chemin de terre qui mène au bois par le Nord est désormais solidement barré d’un amoncellement de pneus, de barbelés et de palettes. « Bienvenue à la barricade Nord », indique un panneau. Derrière, la forêt résonne de mille coups de marteau. (...)
Profitant du soleil matinal, un petit groupe de bricoleurs manie la scie et le maillet, transformant peu à peu un tas de palettes et des bottes de paille en une cabane spacieuse qui servira bientôt de cuisine collective. (...)
Des toilettes sèches sont installées au milieu des arbres. Pour se laver, il faut se rendre à la Maison de la résistance, ou « se débarbouiller dans une flaque ». Le quotidien de Pauline, comme celui de tous les habitants de la forêt, se compose ainsi d’anecdotes : se réveiller avec des oiseaux sur la tête, croiser un chat sauvage en se promenant au crépuscule, petit déjeuner d’une poêlée de trompettes de la mort fraîchement collectées. « C’est du bonheur à l’état pur, ici on vit intensément », se réjouit celle qui, il y a un an, redoutait de passer une nuit dehors dans le froid. (...)
Tout n’est pas romantique, loin de là. La vie collective est faite de hauts et de bas. Biscuits, fruits et autres denrées alimentaires doivent être suspendus pour éviter d’attirer souris et rats. La boue s’incruste partout, donnant même lieu à un nouveau type de météo : « Ici, on dit qu’il fait “muddy” » [boueux, en anglais], plaisante Pauline, avant d’ajouter : « Il y a aussi le harcèlement policier, ils viennent nous filmer, passent avec des hélicoptères, nous insultent. » Malgré la menace toujours présente d’une expulsion — le bois étant occupé illégalement — les militants se projettent à long terme.
Ce qui se joue sous la cime des chênes
« L’occupation n’est pas éphémère, la lutte s’ancre dans la forêt, constate Pauline. On peut parler d’une Zad, comme à Notre-Dame-des-Landes. » (...)
Si les forces de l’ordre et les agents de l’Andra ne peuvent plus pénétrer dans le bois depuis le début de son occupation, les habitants continuent de venir s’y promener. Un réseau de solidarité se tisse peu à peu entre opposants venus d’ailleurs et locaux. Un paysan apporte de la paille, une habitante rapporte des chandails chauds. Dans leurs yeux, une étincelle d’admiration : « Nous sommes nombreux à soutenir ce qu’ils font dans le bois, même si on y va pas nous-mêmes », me glisse un grand-père croisé plus tard dans les rues de Gondrecourt. (...)
"L’idée n’est pas de créer des ghettos anarchistes dans différents coins de la Meuse ; nous voulons nous lier aux habitants et créer un climat de résistance. » (...)
BZL, bois Lejuc, maisons achetées, appartements loués, champs squattés ou prêtés… En Meuse, la lutte prend racine sous forme d’un archipel d’espaces où s’expérimentent de nouvelles formes de vie collective et autonome. Dans leur livre Bure, la nouvelle bataille du nucléaire, Gaspard d’Allens et Andra Fuori citent Jacques Rancière. L’émancipation n’est pas dans le projet d’un idéal lointain, elle se passe maintenant, explique le philosophe. C’est une autre manière d’habiter le monde en commun, c’est créer des espaces-temps autonomes au sein de l’ordre existant.