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Mediapart
La guerre, la fausse excuse des terroristes
Article mis en ligne le 22 septembre 2021

La justification par Salah Abdeslam des attentats du 13-Novembre du fait des bombardements effectués par la France en Syrie est une constante de la propagande victimaire djihadiste. Elle ne résiste pas à l’examen des faits.

Mercredi, Salah Abdeslam, seul survivant des commandos du 13-Novembre, a suscité une certaine émotion en justifiant les attentats comme une riposte aux bombardements français contre l’État islamique.

« Une partie civile a demandé [à la juge Panou] : pourquoi la France ? La juge n’a pas donné de réponse. Moi je vous dis : on a combattu la France. On a attaqué la France. On a visé la population, des civils, mais ça n’a rien de personnel. On a visé la France et rien d’autre. Parce que les avions qui bombardent l’État islamique ne font pas de distinction entre les hommes, les femmes et les enfants. On a voulu que la France subisse la même douleur que nous subissions. » (...)

Abdeslam a rejeté la responsabilité sur le précédent président de la République : « Quand François Hollande a pris la décision d’attaquer l’État islamique, il savait très bien que sa décision comportait des risques. Quand les États-Unis ont demandé à la France d’attaquer l’Irak, Jacques Chirac a refusé son soutien. Il a dit que ça provoquerait une haine antifrançaise et des attaques meurtrières. C’est exactement ce qui se passe. »

Pour choquants que ces propos soient de la part d’un accusé qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour sa participation aux massacres ayant fait 131 morts et plusieurs centaines de blessés, ils ne constituent pas une surprise.

Entre deux salves de kalachnikovs, Foued Mohamed-Aggad et Ismaël Omar Mostefaï, deux des trois kamikazes du Bataclan, lançaient aux malheureux qu’ils étaient en train d’achever : « Pourquoi on fait ça ? Vous bombardez nos frères en Syrie, en Irak. Pourquoi on est ici ? On est venus jusqu’en Syrie pour vous faire la même chose ! » Et ciblaient également François Hollande comme supposé responsable (...)

Le message se voulant politique de Salah Abdeslam s’inscrit donc dans une continuité. Il s’appuie sur une réalité, la volonté stratégique de l’État islamique d’amener certains alliés de la coalition à se désengager, exactement comme l’Espagne s’était retirée d’Irak dans le mois qui avait suivi les attentats de Madrid ayant fait 191 morts et des milliers de blessés en 2004.

En même temps, il ne faut pas non plus surinterpréter la propagande victimaire djihadiste. En réalité, la Dawla Islamiya, le nom arabe de l’organisation terroriste, se préparait aux attentats bien avant les premières frappes de la coalition internationale et de l’armée française. (...)

Dès le début de l’année 2014, soit neuf mois avant la déclaration de guerre d’Abou Mohamed Al-Adnani, le porte-parole du califat, appelant « à tuer de méchants et sales Français », l’organisation terroriste a missionné des moudjahidines en Europe, tout en prenant garde à ne pas revendiquer leurs actes. Le premier d’entre eux à avoir frappé s’appelle Mehdi Nemmouche, auteur du quadruple assassinat du Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014 (il a été condamné en 2019 à la réclusion criminelle à perpétuité pour ce crime).

Deux mois après, Nemmouche croupit dans une cellule du quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, en attendant son extradition vers la Belgique. Il discute avec un autre détenu djihadiste, ignorant qu’un surveillant écoute à la porte et retranscrit leurs propos.

Au cours de cette conversation, Mehdi Nemmouche inscrit son crime dans un projet terroriste concerté. À propos des policiers, le terroriste soupire : « Tant qu’ils ne démantèlent pas la filière, tout ira bien. » Laissant entendre que d’autres projets sont en cours. (...)

Officiellement, l’État islamique n’a jamais endossé la paternité de la tuerie du Musée juif de Bruxelles commise par un soldat de son califat. En revanche, plusieurs djihadistes proches de Nemmouche célèbrent sur les réseaux sociaux le carnage attribué à leur ami. Deux jours après l’attentat de Bruxelles (et quatre jours avant l’arrestation de Nemmouche, qui n’a pas encore été identifié), le djihadiste antillais Tyler Vilus (en train d’être jugé en appel à Paris pour meurtres et direction d’une organisation terroriste, ce qui lui a valu une peine en première instance de 30 années de réclusion criminelle) se félicite de la tuerie sur son compte Twitter : « Morts de juifs en Belgique, c’est du propre. Qui doit-on remercier ? Telle est la question. Kalash pliable, GoPro, ça sent bon :). »

Le lendemain de l’interpellation de l’auteur des faits, Tyler Vilus ne prend plus de précaution oratoire. Dans un message adressé sur Skype, il écrit : « T’as vu ? Mon pote a tué les juifs en Belgique. »

La propre mère de Vilus avoue à un proche bien connaître Nemmouche, elle aussi. Son interlocuteur s’inquiète de ces terroristes envoyés par l’État islamique, la mère de Vilus le rassure : « Ce sont des frères qui rentrent parce qu’ils ont envie de faire un truc eux tout seuls. C’est des trucs perso quoi, c’est leur choix à eux, tu vois ? »

À l’entendre, les djihadistes rentrés en France seraient des loups solitaires auxquels l’organisation terroriste aurait lâché la bride.

La réalité est plus complexe. (...)

Ainsi, un an avant le début des bombardements de la coalition, un an avant que le porte-parole Al-Adnani ne menace l’Occident, l’État islamique se renseignait déjà sur la façon dont il pourrait faire passer les frontières à ses tueurs.
Enfin, de retour en France, Mourad Farès, ce Savoyard dissident de l’EI, rapportera une entrevue avec un Saoudien chargé de recruter, de former et de renvoyer chez eux des moudjahidines étrangers en vue de constituer des cellules dormantes prêtes à commettre des attentats. Le Saoudien lui aurait ordonné de ne parler à personne de ce « projet secret ». On est à l’automne 2013.

D’autres se montrent moins discrets. (...)

N’en déplaise à Salah Abdeslam, c’est parce que l’État islamique avait frappé la France et répandu le sang de nouveau dans l’Hexagone que l’armée française a procédé à des frappes en Syrie. Pas l’inverse.