
Des conversations retrouvées par un expert informatique montrent que Michèle Marchand a supervisé de bout en bout l’opération qui a conduit à la fausse rétractation de Ziad Takieddine dans l’affaire libyenne. Dans ces échanges, elle affirme aussi rendre compte en temps réel à Nicolas Sarkozy, surnommé « Zébulon ».
Les messages effacés sont remontés à la surface, finalement. Un expert informatique mandaté par la justice a réussi à récupérer, en menant des opérations de « reconstitution », les écrits que se sont échangés par téléphone, avant d’en détruire l’essentiel, plusieurs protagonistes de la fausse rétractation de Ziad Takieddine dans l’affaire Sarkozy-Kadhafi.
Selon ces éléments consignés dans plusieurs procès-verbaux, dont Mediapart a pu prendre connaissance, la femme d’affaires Michèle Marchand, papesse de la presse people et intime des couples présidentiels Macron et Sarkozy, a bien supervisé de bout en bout toute l’opération qui a abouti à l’automne 2020 au spectaculaire revirement de Ziad Takieddine dans l’affaire libyenne, simultanément dans Paris Match et sur BFMTV.
Les messages exhumés sont aussi potentiellement embarrassants pour Nicolas Sarkozy, puisqu’ils montrent que Michèle Marchand affirmait à ses complices présumés, pendant le déroulement des événements, rendre compte en temps réel de chaque étape de l’opération Takieddine à l’ancien président en personne (...)
Le juge chargé de l’instruction, Vincent Lemonier, évoque d’ailleurs lui-même dans un procès-verbal du 22 août les « comptes rendus de l’opération à Zébulon » par Michèle Marchand. (...)
Sollicitée par Mediapart, Michèle Marchand n’a pas souhaité répondre, indiquant qu’elle réserve ses explications au juge d’instruction. Également interrogé, Nicolas Sarkozy n’a pas donné suite. (...)
Dans ses fameuses déclarations, l’intermédiaire Ziad Takieddine, l’un des accusateurs historiques de l’ex-chef de l’État, révélait avoir été en réalité manipulé par un juge d’instruction, Serge Tournaire, pour accuser à tort Nicolas Sarkozy dans la procédure. Résultat ? des éditions spéciales sur les chaînes d’info en continu, des interviews de proches de l’ancien président affirmant que le dossier libyen s’écroule, et un communiqué triomphal de Nicolas Sarkozy, qui exulte : « La vérité éclate enfin ! »
Et rebelote un mois et demi plus tard avec, cette fois, un nouvel article de Paris Match, titré « Exclusif : Takieddine accuse ses juges » et cosigné par son directeur d’alors, Hervé Gattegno, dans lequel il était expliqué que l’intermédiaire avait confirmé par écrit ses rétractations providentielles pour Sarkozy devant un notaire de Beyrouth, au Liban. (...)
Le revirement surprise de Takieddine est survenu dans un calendrier bien précis : juste après la mise en examen pour « association de malfaiteurs » de Nicolas Sarkozy dans le dossier libyen et juste avant le procès de l’ancien président pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire Bismuth.
Mais la fable, qui a jeté l’opprobre sur un magistrat anticorruption considéré comme la bête noire de l’ex-président – Serge Tournaire est aujourd’hui le doyen des juges d’instruction du pôle financier de Paris –, ne tiendra pas longtemps. En enquêtant sur le dessous de ce scoop qui n’en était pas un à la suite de révélations de Mediapart, la police et le juge Lemonier ont en effet découvert ce qu’ils considèrent être aujourd’hui une « subornation de témoin » et une « association de malfaiteurs » présumées.
En somme, un témoignage qui aurait été acheté – des fonds ont bien été versés au Liban, selon l’enquête judiciaire – au bénéfice final de l’ancien président de la République. Celui-ci a d’ailleurs tenté d’exploiter judiciairement l’événement pour se sortir du dossier libyen. Sans succès. (...)
Huit personnes sont désormais mises en examen dans le dossier. Parmi elles : Michèle, dite « Mimi », Marchand, mais aussi un escroc notoire proche de certains réseaux policiers, Noël Dubus, et un entrepreneur star, David Layani, qui gravite dans les entourages de Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron et Gérald Darmanin.
Toute personne mise en examen est présumée innocente.
À mesure que la justice avance dans ses investigations, c’est un bien drôle d’attelage d’aventuriers d’horizons très divers qui semble se retrouver sous le capot d’un « scoop » faisandé. Avec, en toile de fond, l’omniprésence d’un grand absent : Nicolas Sarkozy. (...)
Comme Mediapart l’a déjà raconté, l’opération Takieddine prévoyait une troisième étape, encore plus aventureuse que les précédentes : faire libérer l’un des fils Kadhafi détenu au Liban, moyennant la corruption de magistrats locaux, dans le but ultime que la famille de l’ancien dictateur libyen dédouane à son tour Nicolas Sarkozy. (...)