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La loi Avia est évidemment une atteinte gravissime à la liberté d’expression.
Article mis en ligne le 16 mai 2020

(...) Anne-Sophie Chazaud : S’il est vrai que les réseaux sociaux sont un lieu où s’échangent parfois des propos agressifs voire violents et s’il semble exister un relatif consensus pour dénoncer ces excès, la volonté de mettre cet espace de libre parole en coupe réglée et sous contrôle inquisitorial ne fait absolument pas l’unanimité.

Les grandes plateformes internet peuvent effectivement servir de déversoir sans filtre aux propos les plus débridés. Chacun de nous en a fait l’expérience

Pourtant, résumer les réseaux sociaux à cette vision caricaturale (dont, du reste, il est facile de se protéger soit en ne les lisant pas, soit en pratiquant des blocages, soit enfin en portant en justice les cas caractérisés de cyber-harcèlement) est une manière bien pratique pour le pouvoir et la pensée dominante de jeter le bébé de la liberté d’expression avec le bain de ses inévitables excès.

Rappelons que les réseaux sociaux sont aussi ce lieu merveilleux de liberté, unique, grâce auquel la pensée non consensuelle peut circuler en dehors des vérités officielles et se confronter au dissensus. Ils sont une véritable agora contemporaine où s’exerce le débat public. Cette liberté a démontré son impérieuse utilité en matière démocratique par exemple lors de l’affaire Benalla, lors de la répression violente des mouvements de Gilets Jaunes, permettant de mettre en lumière sans conteste de nombreuses violences policières dont le peuple français a été l’objet ou encore lors des manifestations hostiles à la réforme des retraites. Sans les réseaux sociaux, la fausse information officielle et propagandiste de la fausse attaque de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, opportunément exploitée par le gouvernement, n’aurait pas pu être démontrée, étant entendu que de nombreux médias mainstream étaient prompts à relayer sans scrupules le discours officiel. Sans les réseaux sociaux, les manigances et l’impéritie des pouvoirs publics français concernant la gestion calamiteuse de la crise sanitaire du Covid-19 n’auraient pas pu être mises en lumière. Songeons notamment à la tragi-comédie des masques, de l’absence de tests, des manipulations d’opinion autour de la question des traitements. Sans les réseaux sociaux, les innombrables scandales de verbalisations zélées lors du confinement n’auraient pas pu éclater au grand jour, comme l’affaire honteuse de cette femme mise à l’amende pour avoir communiqué avec son mari, résident en Ehpad, au travers d’une vitre à l’aide de quelques mots griffonnés tendrement sur une ardoise, ou encore cet homme empêché par la gendarmerie de se rendre au chevet de son père mourant. Les exemples furent innombrables.

Les réseaux sociaux sont à l’heure actuelle un véritable contre-pouvoir et c’est bien ce qui dérange. (...)

Mettre le couvercle sur une marmite n’a jamais fait ses preuves en matière de thermodynamique, non plus qu’au plan de l’intelligence politique. Il est arrivé que cela se termine à la Bastille…

Régis de Castelnau : Une première observation s’impose, la conflictualité est inhérente au politique et elle s’exprime et se résout dans l’espace public. Le propre d’un cadre normatif dans un système démocratique est justement de permettre le débat et l’affrontement des opinions, le juge de paix étant l’élection. De ce point de vue, il ne faut pas se tromper, les débats et les échanges de la période actuelle sont plutôt moins violents que par le passé. (...)

Le problème que pourrait poser l’exercice de la liberté d’expression aujourd’hui est celui de l’existence des réseaux numériques réalisant une véritable révolution en donnant une parole en temps réel au plus grand nombre ce qui est quand même qu’on le veuille ou non un progrès démocratique. Cette parole charrie comme toujours le pire et le meilleur, et il est quand même inquiétant que le pouvoir d’État réagisse comme il le fait avec cette succession de lois liberticides. Le texte « proposé » par Madame Avia n’étant qu’un avatar d’une entreprise d’encadrement mise en œuvre depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir et visant à limiter drastiquement la liberté d’expression avec deux objectifs : contrôler l’information, et empêcher la parole dissidente. Il est quand même curieux d’être contraint de rappeler que la démocratie est fondée sur l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui. Et que l’accès à l’expression et au débat du plus grand nombre ne devrait pas être considéré comme un danger. (...)

La loi sur la presse de 1881 fonctionne depuis presque 140 ans et jusqu’à présent on pouvait considérer que la liberté d’expression existait dans notre pays. Malheureusement, depuis le mandat de François Hollande et maintenant d’Emmanuel Macron, la France a dégringolé dans les classements internationaux de la liberté de la presse, « la patrie des droits de l’homme » se trouvant aujourd’hui à la 34e place sur 180 pays… l’inadaptation de la loi Avia au « contexte actuel » est d’abord due à son caractère liberticide. (...)

Anne-Sophie Chazaud : Les propos reprochés à Laetitia Avia, comme le rapporte Mediapart, qu’elle aurait tenus envers nombre de ses ex-collaborateurs, empreints de connotations racistes, méprisantes, de l’esprit de discrimination, de sexisme, mais aussi les pratiques de travail peu respectueuses qu’elle aurait fait régner, démontrent à l’évidence l’éternelle tartufferie des moralistes. Car la loi Avia cherche à réfréner la liberté d’expression sous les motifs les plus vertueux et au prétexte des luttes sociétales minoritaristes et victimaires. Se retrouver mis en accusation, du côté des bourreaux, pris la main dans le pot de confiture, lorsqu’on s’époumone dans de curieuses diatribes à vouloir contrôler la saine morale et la parole d’autrui (songeons à sa grotesque harangue à la tribune de l’Assemblée contre les « trolls, les haters et les têtes d’œuf » (sic), est toujours assez savoureux.

Selon le principe de l’arroseur arrosé, Laetitia Avia fait par ailleurs l’expérience de l’inanité des dispositifs liberticides visant à interdire les « contenus haineux ». Car, en l’occurrence, et au-delà de l’absence de savoir-vivre, d’éducation et de respect d’autrui, les propos qui lui sont reprochés correspondent à des expressions « vulgaires » certes mais qui appartiennent parfois au langage courant. Si l’on ne peut qu’en regretter la bêtise, vouloir à tout prix légiférer sur ce champ relève de l’ineptie intrusive. Invoquer l’aspect privé de ces commentaires peu amènes est du reste impossible puisque, dans sa grande passion liberticide, le pouvoir macronien s’est empressé en août 2017 de prendre un décret permettant la pénalisation de propos discriminatoires et d’injures tenus dans un cadre non public. L’extension du domaine de la pénalisation de l’expression se retourne donc contre son créateur, ce qui en la circonstance est plutôt amusant. (...)

Régis de Castelnau : La séquence « arroseur arrosée » qui frappe Laetitia Avia au-delà de son côté savoureux, pose très exactement le problème de l’application du texte qu’elle a fait adopter. (...)

Quant à son discours à la tribune de l’Assemblée, avec sa petite litanie d’insultes elles-même haineuses démontrent à quel point cette soi-disant « lutte contre la haine » n’est qu’un prétexte. Alors ce ne sont pas l’ambiguïté de certains propos qui rend l’application de la loi problématique, c’est le fait que cette loi soit radicalement inconstitutionnelle.

Le texte de 1881 posait un certain nombre de principes et en particulier l’intervention du juge impartial pour définir les limites légales de la liberté d’expression. Celle-ci est totale et ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire qu’a posteriori. C’est la raison pour laquelle par exemple l’interdiction a priori des spectacles de l’humoriste Dieudonné n’est pas possible. Le fait qu’il ait déjà été condamné ne permet pas de l’empêcher de parler par anticipation. 140 ans de jurisprudence ont permis utilement au juge d’adapter l’application du texte aux évolutions des modes de communication. La révolution numérique a été parfaitement intégrée et l’ordre juridique n’avait nul besoin d’être bouleversé.

Le texte adopté hier comporte un certain nombre d’horreurs et la première d’entre elles est celle relative au fait que c’est l’autorité administrative qui désormais décide de ce que l’on peut dire ou ne pas dire sur les réseaux. La police peut sommer n’importe quel site, quelle que soit sa taille, de supprimer dans les 24 heures des textes qu’elle juge contraire à la loi. (...)

Il est clair que les grandes plates-formes comme Facebook et Twitter, non seulement vont poursuivre leur censure a priori qui existe déjà, mais par précaution déférer à toutes les demandes de suppression émanant du pouvoir d’État. Le système d’intimidation ainsi adopté n’est pas destiné à « lutter contre la haine » mais bien à réprimer la liberté d’expression sur les réseaux. Et ce d’autant, que le pouvoir actuel nous a fait une très jolie démonstration à propos de l’expression de la haine dans la fameuse affaire « Mila ». On se rappelle cette jeune fille de 16 ans victime d’une agression raciste sexiste sur les réseaux et répondant vivement en critiquant vertement une religion, ce qui est une liberté fondamentale. Pour faire l’objet ensuite d’un incroyable déferlement d’insultes et de menaces de mort qui se sont comptés par dizaines de milliers. Le premier réflexe du parquet mandaté par Madame Belloubet fut de lancer une enquête préliminaire contre la jeune fille ! (...)

Et ce n’est pas l’annonce de la création d’un parquet spécialisé ainsi que d’une juridiction également spécialisée qui vont changer quoi que ce soit en réintroduisant le juge dans le processus. La précédente création du Parquet National Financier a été une belle démonstration de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques dont l’actuel pouvoir est un pratiquant assidu. (...)

Une ribambelle de dispositifs se sont succédé, dans un pays déjà sujet à l’inflation législative, visant à museler l’expression ; la loi présentée comme anti fake-news, permettant l’intervention du juge des référés en matière politique représente une véritable abomination antidémocratique. Elle n’a pourtant pas trouvé beaucoup d’opposants sur les bancs de l’Hémicycle. L’esprit propagandiste qui dirigeait l’esprit de cette loi a pourtant été mis en lumière lors des récentes manipulations d’opinion et d’intrusion dans la liberté d’information auxquelles s’est prêté l’exécutif avec sa tentative de déploiement d’un site de « Desinfox » afin de contrôler la bonne parole sur la gestion de la crise sanitaire. La loi présentée comme « anti-casseurs » et qui avait surtout pour objectif de casser la liberté d’expression propre au droit de manifester, en tentant de justifier l’injustifiable arrestation arbitraire et préventive des opposants sociaux et politiques par le pouvoir, n’a pareillement pas suscité beaucoup de réactions hostiles, proposée même par Les Républicains. La loi Avia ne fait que compléter ce système répressif antidémocratique, lequel démontre la nature autoritaire et illibérale du pouvoir macronien. Rappelons également que si chacun semble considérer comme acquis les bienfaits de la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux, celui-là permet pourtant à de nombreux lanceurs d’alerte de diffuser certaines informations. Mais protéger les lanceurs d’alerte n’est pas non plus une grande priorité de cet exécutif qui s’est empressé avec un zèle remarquable de faire appliquer en droit national la directive européenne sur le secret des affaires en mode « procédure-bâillon ». (...)

Notons enfin que la notion de « haine » permet de condamner la critique de nature politique et sociale. On se souvient d’Emmanuel Macron fustigeant, lors du mouvement des Gilets Jaunes, la « foule haineuse ». Cette sémantique appliquée au champ politique n’est pas anodine et permet d’entrevoir un verrouillage de l’opposition politique et sociale par un pouvoir aux abois.

On en comprend donc tous les dangers multifactoriels. (...)

Il est indispensable de s’opposer, par toutes les voies de droit possible, à cette mise en cause de la liberté fondamentale d’expression. À l’Assemblée, la droite républicaine s’est ressaisie, la France insoumise a fait son devoir, et on notera la « glorieuse » et guère surprenante abstention du groupe socialiste… Il faudra s’en souvenir.