Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
“La non-violence de l’Etat devrait redevenir un débat”
Article mis en ligne le 26 juillet 2018
dernière modification le 25 juillet 2018

Usage disproportionné de la force, refus de reconnaître les projets collectifs au nom de l’ordre… Trois mois après son évacuation, la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes refuse de tourner le dos à trente ans d’expérimentations sociales, dont certaines ont fait leur preuves estime la sociologue de la police Geneviève Pruvost, dans un ouvrage qui fait l’éloge des « mauvaises herbes ».

Après l’opération d’expulsions sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en avril dernier, les terres ont vu leurs routes rouvertes à la circulation, et les hélicoptères, drones et blindés ont disparu progressivement du paysage. Pourtant, pour le département de Loire-Atlantique, souhaitant racheter une partie de ces terres à l’Etat, l’avenir des habitants reste incertain, et l’interprétation de ce qu’il s’est passé encore source de débat. Geneviève Pruvost, sociologue de la police et des alternatives écologiques à l’Institut Marcel-Mauss, a écrit le texte « Zone de politisation du moindre geste » dans le livre Eloge des mauvaises herbes : ce que nous devons à la ZAD, coordonné par la journaliste Jade Lindgaard et réunissant les textes d’un collectif de quinze auteurs. Entretien. (...)

L’originalité de la ZAD réside, d’une part, dans la cohabitation politique de groupes qui, en d’autres circonstances, n’auraient pas communiqué les uns avec les autres : les agriculteurs et les artisans, qui travaillent en interdépendance. D’autre part, la ZAD a fait l’objet d’une répression disproportionnée par deux gouvernements successifs, en 2012 et 2018, à l’aide des blindés, des drones, des contrôles d’identité abusifs. C’est alors qu’un réseau de comités de soutien, d’associations, de particuliers s’est mobilisé en France et à l’international pour dénoncer l’iniquité de cette répression. L’Etat sait bien que ce lieu est défendu par une grande variété de gens qui ne se réduisent pas aux black blocs et à l’« ultra gauche », comme il veut le laisser croire. (...)

Emmanuel Macron a qualifié la ZAD de « projet de désordre » et assurait avoir « rétabli l’ordre républicain en évacuant les zones où il n’y avait aucun projet réel ». Pourquoi faire appel aux notions d’ordre et de désordre ?

Le contenu de ce qui doit être l’ordre est défini par le gouvernement, et la police est un indicateur de ce qui fait ordre et désordre pour les dominants dans une société. L’institution policière n’a pas les moyens de contrôler toutes les infractions au code pénal ; il est donc intéressant de voir la sélection des infractions « dignes » d’intérêt. On voit ainsi que l’ordre républicain ne s’alarme absolument pas de la production de déchets toxiques ou des conditions de travail enfreignant le code du travail. En revanche, faire venir des blindés à la ZAD est une priorité. J’ai été frappée que l’Etat présente les habitants de la ZAD comme des militants ultraviolents : en tant que sociologue de la police, la première chose que je vois, c’est plutôt la disproportion des moyens mis en place et la violence de la police. Cette dernière est la boîte noire de la démocratie(...)

Qu’est-ce qui rend la ZAD à ce point dangereuse que l’Etat engage les forces armées afin de lutter contre elle ?

Les expériences alternatives qui y sont menées durent depuis suffisamment longtemps (certaines depuis trente ans !) pour qu’on puisse désormais attester de leur sérieux. Certaines ont fait l’objet d’études scientifiques – sociologiques, agronomiques… On est donc à même de juger de la viabilité économique et sociale de ce genre d’entreprise autogestionnaire. D’autant que la productivité de l’agriculture « industrielle » ne pourra plus augmenter, alors que le modèle paysan de la microferme, lui, peut se révéler très productif. Aujourd’hui, une génération entière de gouvernants trahit une méconnaissance totale du monde paysan et de l’habitat vernaculaire. On a pourtant des retours d’expériences alternatives et coopératives de longue durée et qui se renouvellent, comme le Larzac. (...)

Mais la ZAD effraie aussi l’Etat pour une seconde raison : des habitants, qu’ils soient soixante-dix ou des milliers (selon les événements) montrent qu’ils peuvent s’organiser en pratiquant l’autogestion, c’est-à-dire la possibilité de s’entendre les uns avec les autres avec un minimum d’échelons hiérarchiques. L’idée même que des groupes humains puissent s’organiser en démocratie directe va à l’encontre de sociétés fondées sur la délégation parlementaire et sur la division entre l’oligarchie décisionnaire et les autres…(...)

Mais la ZAD effraie aussi l’Etat pour une seconde raison : des habitants, qu’ils soient soixante-dix ou des milliers (selon les événements) montrent qu’ils peuvent s’organiser en pratiquant l’autogestion, c’est-à-dire la possibilité de s’entendre les uns avec les autres avec un minimum d’échelons hiérarchiques. L’idée même que des groupes humains puissent s’organiser en démocratie directe va à l’encontre de sociétés fondées sur la délégation parlementaire et sur la division entre l’oligarchie décisionnaire et les autres…

Et si l’action locale pouvait changer le monde ?
Dans Eloge des mauvaises herbes, vous dites qu’il « faudrait une armée entière pour endiguer le flux incontrôlable des anonymes qui ont une ZAD dans la tête »...

L’Etat ne peut pas brider la parole ni le flot de gens qui viennent de toutes les classes sociales pour voir à quoi la ZAD peut bien ressembler. Ces gens de passage à la ZAD – qu’ils appartiennent aux classes moyennes éduquées, aux classes supérieures comme aux classes populaires – en sont revenus avec quelque chose, et ils en ont parlé autour d’eux. Personnellement, je me suis rendue dans la ZAD en 2012 parce que l’Etat y menait une action policière massive contre des modes de vie que j’étudiais alors. Que l’Etat prenne la peine de se lancer dans de telles actions spectaculaires, coûteuses à tous points de vue, en prenant le risque de tuer et de blesser, cela en dit long sur la croyance en l’impunité de son action. Il envoie des électrochocs dont il ne mesure pas la portée, et dont les conséquences peuvent se faire sentir bien plus tard. On est dans un mouvement de contestation de longue durée, très visible dans les années 1970, ravivé dans les années 2000 avec l’altermondialisme, et qui se poursuit donc aujourd’hui…