
C’est la plus grande coopérative du monde. La ville de Mondragòn, au Pays basque espagnol, a donné son nom à un groupe de coopératives qui emploie 80 000 personnes. Mais ce modèle d’économie sociale et solidaire est en crise depuis que l’une des coopératives historiques, Fagor electrodomesticos, a fait faillite fin 2013. Chacun s’interroge : la compétitivité a-t-elle pris le pas sur la solidarité ? La coopération survivra-t-elle à la quête de profits mondialisée ? Reportage au cœur d’une vallée marquée par 50 ans de lutte pour une autre économie.
(...) Le groupe Mondragon, c’est plus de 120 coopératives, une centaine de filiales, une fondation et une poignée de centres de recherche et développement. Soit 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires ! C’est aussi une banque, la Laboral Kutxa, un organisme indépendant de sécurité sociale baptisé Lagun Aro et même une université. Autant d’entités qui sont reliées les unes aux autres et emploient environ 80 000 personnes. La moitié de la population de la ville est directement employée par les coopératives. L’esprit coopératif imprègne toute la société, depuis les écoles primaires jusqu’à l’université, les associations et même les structures traditionnelles toujours florissantes, comme les cantines communautaires (Elkartea) et les maisons des jeunes autogérées (Gaztetxte).
Mais en novembre 2013, le dépôt de bilan de Fagor electrodomesticos – célèbre fabriquant électroménager et navire amiral du groupe – a fait les gros titres de part et d’autre des Pyrénées. Personne n’aurait en effet imaginé que « le monstre », comme l’appelle les habitants de Mondragòn-Arrasate, l’héritier direct de la première coopérative de la ville, allait finir par jeter l’éponge. Les signes avant-coureurs étaient pourtant perceptibles. (...)
Impossible à Mondragòn-Arrasate et dans ses environs de ne pas entendre parler de coopération. Et pour cause, tous les habitants travaillent, ont travaillé pour la coopérative, ou connaissent quelqu’un qui y est employé. Du coup, tout le monde a son mot à dire sur les valeurs coopératives et la crise actuelle. Le dépôt de bilan de Fagor n’est toujours pas digéré. Il est venu remettre en question plusieurs principes fondateurs. En premier lieu, le principe de la solidarité entre coopératives. Après avoir longtemps mis au pot commun et déboursé ces dernières années 300 millions d’euros pour soutenir la branche électroménager, les autres coopératives ont fini par lâcher le « monstre », redoutant un effet boule de neige qui aurait affaibli l’ensemble du groupe.
1800 sociétaires sur le carreau
Autre remise en question, celle de l’emploi garanti à vie. (...)
Des efforts ont été déployés pour reclasser les sociétaires dans les autres coopératives du groupe. Mais beaucoup ont perdu leurs illusions et y ont même laissé quelques plumes. Certains avaient placé toutes leurs économies dans la coopérative, à la fois pour faire fructifier leur argent mais aussi pour soutenir une entreprise dont ils étaient copropriétaires.(...)
Joseba a toujours foi dans le principe de base de la coopérative, mais il insiste sur le problème d’échelle – « Une coopérative ne doit pas être trop grande ou trop petite » – et sur la nécessité de faire vivre la démocratie dans l’entreprise au jour le jour. « Une coopérative où l’ouvrier ne connaît que sa machine va nécessairement au devant de problèmes. Nous nous sommes retrouvés dans une situation où seulement 10% des gens décidaient pour les 90% restants. » Pour lui, le vrai responsable « c’est l’exécutif, car c’est lui qui a proposé l’agrandissement tous azimuts. L’internationalisation, il faut la faire quand on a les moyens de la faire. »
Journaliste à Mondraberri, quotidien numérique local en langue basque, Gontzal revient sur les manifestations qui ont secoué la ville depuis la faillite(...)