
Les stratégies économiques et les techniques de gouvernement néolibéral des conduites convergent vers un même objectif : le contrôle du temps. La discontinuité de l’emploi produit une précarisation du temps et la précarisation du temps a comme conséquence son morcellement. On ne sait pas quand on sera employé ni quand on ne le sera plus, combien de temps on touchera des allocations ou le RSA. Il devient difficile de distinguer le temps de repos du temps de l’activité. Se débrancher complètement de l’emploi et de ses impératifs devient problématique. La vie se déroule suivant des temps fragmentés, hétérogènes incohérents et dénués de sens.
Les salariés à l’emploi discontinu vivent une multiplicité de temporalités, sur des rythmes et avec des vitesses éclatées. Ils passent d’un emploi à un autre, d’un emploi à l’attente d’un emploi, de l’emploi au chômage, du chômage à une formation, d’une formation à un temps partiel.
Ce morcellement du temps requiert une aptitude subjective à la disponibilité. Si les salariés à l’emploi discontinu ne sont pas employés en permanence, ils doivent être en permanence disponibles. Le chômeur doit être disponible, souple, adaptable aux temporalités et aux rythmes de l’entreprise, au marché de l’emploi et aux institutions qui régulent les mouvements de la force de travail.
L’emploi et la disponibilité « bouffent le temps », « il n’y a plus de temps », « le temps manque », témoignent différents participants à nos ateliers.
(...) Ce manque de temps, ou plutôt ce temps investi dans l’emploi morcelé et dans la recherche d’emploi, implique autant un appauvrissement économique qu’un appauvrissement de la subjectivité. L’emploi du temps ne régit plus seulement le temps de l’emploi. Cette exploitation du temps envahit chaque heure de l’individu, qu’il soit employé ou au chômage. (...)
On aurait pu espérer que la rupture de la circularité et de la régularité du temps disciplinaire libérerait le temps comme espace du possible, de décision, de choix, de la liberté. Il n’en n’est rien.(...)
Tout en imposant un état de mobilisation totale et de changement continu, la société néolibérale ne libère pas de temps de vie, ne favorise aucunement la création de nouveaux possibles. Mobilisation générale à l’emploi, adaptation permanente aux marchés et consommation régissent les éventuels temps libres gagnés par ailleurs. Ce qui est volé, ce n’est pas le temps de travail mais l’avenir, le devenir mêmes des sociétés. L’espérance est préemptée.(...)
Les temps vides, les temps de suspensions et de ruptures, les temps non finalisés, les temps d’hésitation sont les conditions de toutes les productions artistiques, sociales ou politiques. Ce sont précisément les temps que les politiques néolibérales s’emploient à neutraliser. La seule temporalité connue et reconnue par cette doxa est celle du temps de l’emploi et du temps de la recherche d’emploi.
Le conflit des intermittents est, à ce propos, exemplaire.(...)
L’appauvrissement économique n’est qu’une face de la précarisation, l’autre face est l’appauvrissement de la subjectivité. L’organisation et le quadrillage du temps produisent une misère et une fragilité de la subjectivité dès l’instant où elle se soumet, volontairement ou non, aux nouvelles techniques de management.(...) Wikio