
Le 24 octobre dernier paraissait le dernier livre de la navigatrice Maud Fontenoy, sobrement intitulé Ras-le-bol des écolos. Retour sur la façon dont les journalistes ont assuré la promotion de l’ouvrage – ou comment, sous couvert d’expertise et grâce à de solides relais médiatiques, les conceptions néo-libérales de l’écologie se propagent insidieusement dans le débat public.
On peut parler d’une médiatisation élevée relativement aux fortunes médiatiques moins heureuses que connaissent la plupart des ouvrages qui paraissent sur le même thème. Cependant, tous les médias n’ont pas relayé cette publication. Sans que le comptage soit parfaitement exhaustif, on a relevé, sur une période de dix jours, quatre interviews et trois références dans des médias nationaux généralistes de grande audience. Précisons également que ce sont des journalistes généralistes (dont le rôle est souvent plus d’animer et de présenter que d’investiguer), et non des journalistes spécialistes de l’actualité environnementale, qui ont participé à la promotion de ce manifeste pour une écologie « libérale » comme la qualifie Bruce Toussaint (I-Télé, 23 octobre 2013).
Cette forte médiatisation du dernier ouvrage commis par Maud Fontenoy montre, s’il en était besoin, qu’il n’est guère nécessaire d’avoir accumulé un savoir spécialisé pour faire office d’expert dans les médias généralistes. On sait depuis l’essai de Pierre Bourdieu, Sur la télévision, que le jeu médiatique aboutit régulièrement à consacrer des experts et expertises qui n’ont pourtant reçu aucun crédit dans le champ scientifique. (...)
le documentaire Les Nouveaux Chiens de garde montrait de quelles façons les médias consacrent un microcosme d’experts à la botte des pouvoirs (économique et politique). Mais avec Maud Fontenoy, l’inconsistance des visages médiatiques de l’expertise, et leur subordination aux intérêts dominants, apparaît en pleine lumière.
Il y a en effet de quoi rester perplexe quand on met en parallèle les motifs de sa popularité, l’ambition de son message et la manière dont certains journalistes généralistes le relaient. Célèbre pour ses performances sur les océans [1], la navigatrice instrumentalise ce qui apparaît aux yeux de beaucoup comme des « exploits » pour s’instituer en égérie de la cause environnementale. Mais pas n’importe quelle égérie. (...)
on se frotte carrément les yeux quand I-télé, France Info, Le Point, RTL ou Direct Matin en viennent à considérer Maud Fontenoy comme une experte des relations entre l’économique et l’écologique. Car on a beau chercher dans sa trajectoire : rien ne vient asseoir son autorité en la matière. Hormis ses deux années de droit et quelques suppositions [2], aucune trace d’une quelconque habilitation à défendre solidement l’idée selon laquelle, comme elle le répète de micros en micros, « le rentable peut-être durable ».
C’est pourtant cette « autorité » qui lui assure une certaine visibilité médiatique, et dont elle profite pour se livrer régulièrement à un plaidoyer en faveur d’un « capitalisme vert » [3]. (...)
les journalistes s’accordent avec la navigatrice pour réduire l’écologie politique à Europe Écologie-Les Verts, comme si les projets politiques alternatifs cherchant à rendre indissociables les questions environnementale et sociale, en les mettant au centre de leur philosophie, n’étaient que des fantasmes puérils. Ne pouvant que consentir au lieu commun d’un « développement durable » pour adultes raisonnables, les hommes de médias s’entretenant avec Maud Fontenoy en oublient même de jouer leur rôle d’intervieweur, lequel supposerait un minimum de contradiction (dont ils ne se privent d’ailleurs généralement pas lorsqu’ils ont en face d’eux un porte-parole de la gauche de gauche). Aucune objection, ni même interrogation, sur les limites possibles du « capitalisme vert » ne sont ainsi formulées. Seules quatre questions tentent de troubler aimablement la navigatrice [6]. (...)