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Mediapart
La sacralisation de Bernard Arnault ou la démocratie malade
Article mis en ligne le 9 juillet 2021
dernière modification le 8 juillet 2021

L’émoi a été immense. Le griffonnage en noir de la vitrine du nouveau magasin phare de LVMH, la Samaritaine, samedi 3 juillet au matin par l’association Attac a provoqué une levée de bouclier de politiques allant du Parti socialiste à la droite la plus dure.
L’action a été condamnée officiellement par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui parle de « vandalisme », et par la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, ainsi que par plusieurs ténors du parti présidentiel. Chacun y allait de son indignation et on a pu se demander, à un moment, si toutes ces belles âmes n’allaient pas proposer de faire prendre en charge par la collectivité la cicatrisation de cette plaie béante sur le nouveau temple du shopping de luxe.
(...)

L’action d’Attac consistant à peindre en noir la Samaritaine a provoqué l’indignation d’une grande partie de la classe politique, des Républicains au Parti socialiste. Mais en héroïsant Bernard Arnault, ces politiques acceptent son pouvoir et sortent l’économie du champ politique. (...)

L’action a été condamnée officiellement par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui parle de « vandalisme », et par la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, ainsi que par plusieurs ténors du parti présidentiel. Chacun y allait de son indignation et on a pu se demander, à un moment, si toutes ces belles âmes n’allaient pas proposer de faire prendre en charge par la collectivité la cicatrisation de cette plaie béante sur le nouveau temple du shopping de luxe. (...)

Quoi qu’on pense de l’action d’Attac, elle n’était guère violente, elle se voulait symbolique. LVMH a évidemment les moyens financiers et humains d’effacer la peinture illico presto, ce qui, au reste, fut fait. Dès samedi après-midi, les visiteurs de la Samaritaine purent à nouveau admirer les montres à 150 000 euros qui leur étaient proposées à l’intérieur sans crainte d’un assombrissement désavantageux. La bénignité de l’attaque tranche donc fortement avec l’empressement des soutiens politiques.
Ce contraste signale que la figure du milliardaire est désormais sacrée au pays de la laïcité. Et s’il est sacré, c’est parce qu’il peut, selon son bon vouloir, décider du graal de la politique moderne, celui que tous les programmes promettent en vain depuis quarante ans : l’emploi.
(...)

En rachetant et en « rationnalisant » des dizaines de sociétés familiales, l’homme a sans doute – dans le meilleur des cas – autant détruit qu’il a construit. Sinon, pourquoi la famille Hermès a-t-elle tout fait pour éviter de tomber dans l’escarcelle d’un tel bienfaiteur qui intriguait sur les marchés pour ravir l’entreprise ?

L’expression d’un pouvoir sur les citoyens et les politiques

Grand optimisateur fiscal, comme tous les milliardaires de notre époque, Bernard Arnault a logiquement un patrimoine qui gonfle avec la bulle des marchés financiers davantage qu’avec ses activités réelles. Certes, chacun sait que ce patrimoine n’est pas de l’argent disponible pour le patron de LVMH, c’est une valorisation de marché qui, sans doute, disparaîtrait s’il décidait de la liquider d’un coup.
Mais on sait aussi que les revenus de ce milliardaire dépendent étroitement de ce patrimoine, ce sont des revenus du capital, car c’est de cela que vivent les riches aujourd’hui. Ce sont ces mêmes revenus qui ont été massivement défiscalisés par la réforme fiscale d’Emmanuel Macron en 2018. Et, partant, l’action d’Attac posait là une bonne question : il y a bien eu, pendant la crise, un enrichissement de ce personnage qui, déjà, ne sait que faire de sa fortune.

Bulles spéculatives

Et cet enrichissement, c’est le politique, autrement dit, en démocratie, la volonté générale qui y a participé (...)

Comme le faisait remarquer l’économiste Stefano Palombarini sur le réseau social Twitter, on assistait à la reconstitution d’un « arc républicain » autour de la défense du malheureux Bernard Arnault, homme le plus riche de France touché au cœur par un gribouillage visant à rappeler que ce dernier avait vu son patrimoine s’alourdir de plus de 60 milliards d’euros en pleine crise sanitaire.
Avec cette affaire, le président de LVMH a pu s’assurer qu’il était devenu un nouveau totem pour cette pauvre République qui, décidément, en compte pléthore (la quantité compense peut-être la qualité). D’ailleurs, on n’oubliera pas que le 21 juin, c’est le président de la République lui-même qui est venu inaugurer, avec un discours des plus laudateur pour le milliardaire, la même Samaritaine.

Empressement des soutiens politiques

(...) Protéger un milliardaire, ce serait « sauver » ou « créer » des emplois. Tous ceux qui s’en prennent donc même symboliquement à la figure de Bernard Arnault sont des ennemis de l’emploi. Et donc, partant, de la République. Le débat économique est donc entièrement neutralisé.

Bernard Arnault n’a pas fait œuvre sociale

Pourtant, cette vision n’a pas réellement de sens. C’est d’ailleurs pourquoi la théorie du ruissellement n’en est pas réellement une. Bernard Arnault a créé des emplois non pas selon son bon vouloir ou son génie propre, mais plutôt selon l’évolution de la demande de ses clients et celle de la rentabilité de sa firme. Or ces éléments dépendent d’éléments plus vastes que la volonté d’un homme. Ils dépendent des politiques économiques, des réglementations et des évolutions globales.
(...)

le soutien à Bernard Arnault n’a guère de sens. Le bon niveau pour discuter d’emplois, c’est celui des politiques économiques. C’est ce débat qu’Attac voulait ouvrir et c’est celui-là que notre nouvel « arc républicain » s’est empressé de refermer à coups de tweets indignés.
Or, si l’on ne peut plus discuter d’économie autrement que pour savoir comment protéger au mieux la fortune de Bernard Arnault, il est certain que le débat politique viendra se focaliser sur d’autres sujets, notamment sur les questions identitaires. Le climat délétère dans lequel la France s’enfonce peu à peu n’a sans doute pas une seule raison, mais cette neutralisation du débat politique est sans doute l’une de ces raisons.
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En rachetant et en « rationnalisant » des dizaines de sociétés familiales, l’homme a sans doute – dans le meilleur des cas – autant détruit qu’il a construit. Sinon, pourquoi la famille Hermès a-t-elle tout fait pour éviter de tomber dans l’escarcelle d’un tel bienfaiteur qui intriguait sur les marchés pour ravir l’entreprise ?

L’expression d’un pouvoir sur les citoyens et les politiques

Grand optimisateur fiscal, comme tous les milliardaires de notre époque, Bernard Arnault a logiquement un patrimoine qui gonfle avec la bulle des marchés financiers davantage qu’avec ses activités réelles. Certes, chacun sait que ce patrimoine n’est pas de l’argent disponible pour le patron de LVMH, c’est une valorisation de marché qui, sans doute, disparaîtrait s’il décidait de la liquider d’un coup.
Mais on sait aussi que les revenus de ce milliardaire dépendent étroitement de ce patrimoine, ce sont des revenus du capital, car c’est de cela que vivent les riches aujourd’hui. Ce sont ces mêmes revenus qui ont été massivement défiscalisés par la réforme fiscale d’Emmanuel Macron en 2018. Et, partant, l’action d’Attac posait là une bonne question : il y a bien eu, pendant la crise, un enrichissement de ce personnage qui, déjà, ne sait que faire de sa fortune.

Bulles spéculatives

Et cet enrichissement, c’est le politique, autrement dit, en démocratie, la volonté générale qui y a participé
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Autrement dit : la fortune de Bernard Arnault sert à autre chose qu’aux emplois. Elle va principalement se loger sur les marchés financiers, où elle se multiplie encore avec la bénédiction des banques centrales (...)

Bernard Arnault est donc la figure incarnée de l’accumulation du capital qui est devenue sa propre fin.
En réalité, même un défenseur authentique du capitalisme devrait s’effrayer de la puissance d’un Bernard Arnault qui, outre sa tentation du monopole, se fait soutenir par l’action monétaire et budgétaire publique pour renforcer des bulles spéculatives. C’est pourquoi en faire un héros de l’emploi est risible, y compris d’un point de vue libéral.
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Bernard Arnault, qui est aussi patron de presse, propriétaire des Échos et du Parisien, entre autres, n’est pas un bienfaiteur. C’est avant tout un homme de pouvoir qui en impose aux politiques. Voilà pourquoi l’anecdote de l’action d’Attac en dit long sur notre époque. À un an de l’élection présidentielle, des prétendants au trône et l’actuel président font quasi officiellement hommage, au sens féodal du terme, à un milliardaire.
En sacralisant sa fonction de créateur d’emplois, ils abdiquent de leur responsabilité et se reconnaissent officiellement redevables envers lui. Derrière les beaux discours sur l’emploi se cache donc une triste réalité, celle de ce qu’il faut bien appeler l’oligarchie.