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LA PLUME D’UN ENFANT DU SIÈCLE
La séquence de Claude El Khal, la Syrie et la complexité | Marwen
Article mis en ligne le 5 mars 2018

Il y a quelques jours, le journaliste de Le Media Claude El Khal, dans une séquence disponible ici, a parlé de la guerre en Syrie et plus précisément de ce qu’il se passe dans la Ghouta orientale, enclave que le régime de Bachar Al-Assad souhaite reprendre à tout prix en ne respectant pas la trêve humanitaire décidée à l’ONU. Cette séquence de Monsieur El Khal, à contre-courant du traitement de la guerre en Syrie dans les médias dits mainstream, a énormément fait réagir. Rien de surprenant affirment ses défenseurs, puisque se plaçant en opposition à la doxa journalistique dominante, le journaliste libanais a engendré une véritable cabale à son égard. Il y a de cela dans ce que subit Claude El Khal depuis la publication de cette séquence, il serait malhonnête de le nier tout comme il y a assurément une volonté chez un nombre conséquent de personnes de se faire Le Média.

En allant déterrer des tweets du journaliste – ce qui semble être la nouvelle mode de ce pays – et en se contentant presque uniquement d’attaques ad hominem sans entrer dans le fond du sujet abordé par la séquence, nombreux sont ceux à avoir démontré leur mauvaise foi. Néanmoins, il serait réducteur d’affirmer que seules des personnes mal intentionnées à l’égard de Claude El Khal ou de Le Média ont trouvé cette séquence dérangeante voire choquante. Personnellement, celle-ci m’a dérangé tout comme la chasse à l’homme qui s’en est suivie. Je crois qu’il nous faut, sur ce sujet comme sur bien d’autres, parvenir à ne pas sombrer dans le manichéisme ambiant tout en refusant le simplisme. Voilà quel est notre chemin de crête. (...)

Sa conclusion, j’y reviendrai, doit être fortement et implacablement rejetée mais toute une partie de son raisonnement est furieusement juste – c’est d’ailleurs sans doute pour cela que la meute des médias dominants est tombée avec tant de force sur le journaliste. Le premier malaise, le plus évident et mis en avant aussi, c’est celui consécutif à la conclusion de Monsieur El Khal après son raisonnement. La guerre est aussi une guerre d’images a-t-il dit et en ce sens Le Media ne diffuserait pas d’images du conflit. Là où réside le problème est précisément dans le fait de renvoyer dos à dos une armée soutenue par la Russie et l’Iran à des groupes rebelles hétérogènes (allant des djihadistes à l’Armée Syrienne Libre, nous y reviendrons) alors même que l’artillerie ne saurait être la même entre les multiples camps.

Le second malaise, moins évident et moins mis en avant mais tout aussi intéressant, c’est assurément toute la première partie de la démonstration de Claude El Khal qui est une charge violente mais juste à l’égard des médias dominants. Le journaliste libanais ne dit pas de mensonge quand il explique que lesdits médias ont un traitement partial de l’information, qu’ils parlent uniquement de rebelles sans entrer dans la complexité de la situation et des différentes factions qui composent la rébellion. C’est assurément pour cela qu’il a été lynché et pas simplement pour le fait d’avoir renvoyé dos à dos les forces en présence – et qui est selon moi la plus grave de ces erreurs. Cette séquence est donc doublement révélatrice et c’est à un double malaise journalistique que nous assistons en la visionnant, la première vague étant assurément la fustigation du traitement partiel et partial de la part des médias dominants et la deuxième vague, plus puissante assurément, est celle du renvoi dos à dos des forces en présence, un peu comme si le soufflé retombait ou que l’argumentation déraillait soudainement. (...)

Cloué au pilori pour sa séquence, Claude El Khal semble être devenu une ligne de démarcation. Dans la logique très ancienne du choix binaire, médias dominants et éditorialistes en vue de Paris ne cessent d’hurler « avec nous ou contre nous ». Si j’en veux personnellement plus à Claude El Khal qu’à ces folliculaires c’est parce qu’il est membre d’un média alternatif qui dit être attaché aux faits et que sa séquence marque au mieux une forme de médiocrité dans l’analyse qu’il aurait été de bon ton de compenser par au moins une autre séquence voire un débat avec un des spécialistes de la question syrienne.

Mais là n’est pas le sujet. Ce qu’il y a de très dérangeant dans les réactions suscitées par cette séquence de part et d’autre, c’est cette injonction à choisir un camp, cet ordre autoritaire à dire de quel côté on est et finalement cette impossibilité à se faire réellement entendre dès lors que l’on rejette l’une et l’autre des visions. Je crois pourtant qu’une analyse fine de la situation doit nous pousser à rejeter en bloc les deux positions. Non il n’y a pas d’un côté le tyran sanguinaire et de l’autre une rébellion homogène mais non les forces en présence ne doivent pas être renvoyées dos à dos non plus. Dans cette mâchoire d’airain constituée d’une part par la position des médias mainstream et d’autre part par celle de Claude El Khal, il est de notre devoir de faire vivre une troisième position, très inconfortable certes mais qui tente tant bien que mal de mettre un terme à la grande confusion entretenue en France au sujet de ce conflit sanglant. (...)

« La première victime d’une guerre, c’est la vérité » disait Rudyard Kipling. Déjà au moment de la bataille d’Alep nous avions assisté à cette grande confusion et, pour être honnête, je ne sais pas s’il s’agit d’une volonté consciente de désinformer ou simplement d’une incompétence notoire et d’une méconnaissance crasse du monde arabo-musulman de la part de ceux qui écrivent, dissertent et adoptent des tons péremptoires sur la question syrienne. Dans un très bon article issu du Monde diplomatique, Bachir El-Khoury évoquait, fin 2016 déjà, la classification et l’hétérogénéité des rebelles syriens. Cette complexité, ou plutôt ce refus de la complexité, c’est ce qui relie malgré eux Claude El Khal et les médias mainstream.

D’un côté, le journaliste de Le Média sans nuance n’a parlé que des « terroristes » présents dans la Ghouta orientale ce qui, vous en conviendrez, est bien flou, de l’autre, les médias mainstream parlent indéfiniment de rebelles syriens sans entrer dans leur diversité. Dans les deux cas l’analyse est sommaire pour ne pas dire simpliste. (...)

Il ne s’agit pas ici de dire que les tenants de l’islamisme parmi la rébellion sont de doux agneaux. Une guerre par définition est toujours sale et celle-ci n’échappe évidemment pas à la règle. Il s’agit simplement de dire qu’amalgamer djihadistes, salafistes et islamistes est une aberration sans nom et confine, osons le mot, à la médiocrité d’analyse voire à la manipulation éhontée. Il est plus que temps de mettre en place une information de qualité sur cette question.

Voilà les quelques mots que m’ont inspirées la séquence de Claude El Khal et les réactions suscitées. Je crois que de notre côté nous devons nous tenir à ce chemin de crête qui est celui du refus du manichéisme et de la confusion (...)