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« Laissez-les grandir ici ! » RESF, ou l’élève au cœur de l’engagement militant
par Damien de Blic & Claudette Lafaye, le 11/05/2015
Article mis en ligne le 15 juin 2015
dernière modification le 11 juin 2015

L’histoire du Réseau éducation sans frontières montre que l’enfant peut être le ressort d’engagements de solidarité puissants et inédits à l’échelle des quartiers. À travers le combat mené par ce réseau, Damien de Blic et Claudette Lafaye montrent également que l’appartenance et l’intégration ne sont pas définis par les critères de l’administration et du droit mais désignent un processus beaucoup plus fondamental de formation de la communauté de vie citoyenne.

« Laissez-les grandir ici ! » : cette injonction a donné son nom à une pétition lancée en France il y a huit ans déjà, au mois de mars 2007, dans le sillage d’un grand mouvement de solidarité né deux ans plus tôt autour des enfants d’hommes et de femmes sans-papiers sur qui pèse une lourde menace : l’expulsion du territoire français. Le mot d’ordre est resté vivant depuis, malgré un intérêt médiatique oscillant au gré des affaires, la plus marquante d’entre elles parmi les cas récents ayant été, au mois d’octobre 2013, l’affaire Léonarda Dibrani, cette collégienne interpellée lors d’une sortie scolaire puis expulsée avec sa famille vers le Kosovo, suscitant une indignation telle qu’elle a contraint le président de la République française à une intervention télévisée sur son cas.

Au milieu des années 2000, la solidarité autour des élèves menacés d’expulsion s’est organisée sous la forme d’un réseau coordonnant l’action de comités de soutien mis en place dans les écoles, les collèges ou les lycées concernés par ces menaces. Ces dernières se multiplient alors du fait, d’une part, du durcissement des lois sur l’immigration et sur l’obtention de titres de séjours et, d’autre part, sous l’effet de l’adoption par le ministère de l’Intérieur d’objectifs chiffrés annuels à atteindre en matière de reconduites à la frontière de personnes en situation irrégulière. Dans ce contexte – il s’agit dès 2007 d’expulser plus de 20 000 personnes par an – les sans-papiers sont de plus en plus nombreux à recevoir des préfectures des « obligations à quitter le territoire français », à être arrêtés, placés en centres de rétention et, pour beaucoup, expulsés. Or, parmi ces sans-papiers menacés figurent des parents d’élèves scolarisés en France, de même que des élèves ayant atteint leur majorité au lycée et se retrouvant par la même occasion expulsables.
La citoyenneté pratique contre la citoyenneté administrative

La mise en place de comités de soutien fait suite au choc souvent ressenti par les enseignants ou les parents d’élèves à la suite de la découverte de la situation d’un enfant ou d’un jeune fréquentant l’établissement où ils enseignent, ou bien où leurs enfants sont inscrits. Cette rencontre est d’abord, le plus souvent, une découverte qui transforme le regard(...)

La menace d’expulsion connue, ou le placement en centre de rétention d’un des parents signalé, l’action collective consiste d’abord à éviter à tout prix la reconduite à la frontière : si l’arrestation a déjà eu lieu, il s’agit de mobiliser aussi bien les armes du droit (épuiser les recours possibles auprès du juge administratif et du juge des libertés et de la détention) que toutes les actions possibles auprès des pouvoirs publics : harcèlement des commissariats, sollicitation des élus locaux, rassemblement devant l’école ou le lycée, etc. Il s’agit ensuite d’obtenir la régularisation, non seulement en aidant à la constitution de dossiers et en accompagnant en préfecture, mais aussi en rassemblant lettres de soutien, pétitions et toutes les preuves de l’enracinement du jeune ou de la famille dans son environnement français.
Le compagnonnage scolaire aux sources de la communauté politique(...)

La ténacité – l’acharnement souvent – de l’engagement contre les expulsions dont font preuve ses militants doit être mis en rapport également avec l’importance de la chose commune qui est défendue en même temps que les personnes en situation de fragilité.

L’école joue ici un rôle essentiel. Cette dernière offre d’abord très concrètement un espace rare de rencontre entre sans-papiers et parents français ou parents en situation régulière. Plus fondamentalement, l’espace de partage que constitue l’école rend saillant le décalage entre les pratiques policières et administratives et la situation effective vécue par ceux qui se signalent eux-mêmes comme sans-papiers. Parce qu’elle opère sur des figures familières (l’élève, le lycéen, le parent d’élève), la violence de la menace n’en apparaît que plus grande. Or, non seulement ces figures participent de la familiarité d’un voisinage mais elles sont aussi porteuses de valeurs civiques.

Ce n’est ainsi pas seulement parce qu’il est vulnérable en tant qu’enfant que l’élève doit être protégé d’une expulsion forcément traumatisante : c’est aussi parce qu’il est porteur d’une citoyenneté en devenir ou déjà acquise.
(...)

si la communauté de voisinage qui se dessine est en partie préexistante, à travers l’école, elle est aussi révélée à elle-même à travers l’atteinte portée à l’un de ses membres. L’élève menacé, qu’il sorte de sa minorité ou qu’il soit enfant de sans-papiers, met ainsi en branle une communauté jusque-là en partie virtuelle et la fait exister aux yeux de chacun de ceux qui s’y reconnaissent, mais aussi auprès d’un plus large public.