Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Le Chili se débat avec les bébés volés de la dictature Pinochet
#Chili #enfants
Article mis en ligne le 8 septembre 2023
dernière modification le 7 septembre 2023

Sous la dictature d’Augusto Pinochet, des milliers d’enfants chiliens ont été adoptés à l’étranger sans le consentement de leurs familles biologiques. Une affaire tentaculaire, qui occupe la justice chilienne depuis 2018.

C’est un long tremblement qui secoue le Chili, un pays pourtant habitué aux séismes, depuis bientôt dix ans. La première secousse remonte au 19 avril 2014, lorsque le média indépendant Ciper révèle les adoptions illicites de plusieurs enfants nés dans les années 1980. Les faits relatés dans l’article se sont produits à Santiago. Dans plusieurs hôpitaux de la capitale, des médecins ont déclaré morts une dizaine de nouveau-nés, en réalité confiés à l’adoption, par l’intermédiaire d’un curé.

Le lendemain, un tsunami de témoignages déferle : ceux de centaines de femmes cherchant désespérément leurs enfants, donnés pour morts ou disparus du jour au lendemain. (...)

Certains cas remontent aux années 1960 tandis que d’autres datent seulement du début des années 2000… Au Chili, la sidération est totale. Comment un tel phénomène a-t-il pu passer inaperçu durant tant d’années ? (...)

Certains cas remontent aux années 1960 tandis que d’autres datent seulement du début des années 2000… Au Chili, la sidération est totale. Comment un tel phénomène a-t-il pu passer inaperçu durant tant d’années ? (...)

Kidnappée et adoptée en France

Le 25 mai dernier, Mediapart a assisté à une réunion de HMS à Concepción, là où Ana Maria Olivares avait découvert, vingt-trois ans plus tôt, ce scandale d’État. Ce jour-là, une salle de classe prêtée par des professeurs sensibles à son combat, dans les faubourgs de la ville, accueille les réunions informelles qu’elle et les huit autres bénévoles, toutes des femmes, organisent chaque année. (...)

En fouillant dans la presse de l’époque, historiens et associations ont mis au jour un véritable « Far West » de l’adoption, un business lucratif tacitement incité par l’État. Ainsi, en 1977, le quotidien La Tercera, à l’époque soumis à la junte, promettait en « une » : « En un coup de fil, vous pouvez avoir un enfant ! » Difficile d’obtenir le montant exact du prix auquel se négociait un « bébé chilien ». Les chiffres qui circulent ne peuvent être vérifiés, car tout se passait de la main à la main, en dollars, en francs, en lires, en couronnes. Dans son enquête, Ciper évoque néanmoins une moyenne de 10 000 dollars par enfant.

L’appât du gain suffit-il à expliquer ces milliers de vols d’enfants ? Pas pour l’historienne Karen Alfaro, qui étudie le phénomène depuis plusieurs années. Selon elle, « l’explication est avant tout politique et idéologique ». Ce n’est pas un hasard, soutient-elle, si sous la dictature de Pinochet, le Chili est devenu l’un des principaux pays « fournisseurs d’enfants » adoptables à l’échelle mondiale.

Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1973, Augusto Pinochet a imposé un néolibéralisme agressif. Dans ce système, « les familles pauvres et nombreuses sont considérées comme des êtres inaptes », rappelle l’historienne. C’est dans ce contexte que, en 1979, le dictateur ordonne dans un « plan quinquennal pour l’enfance » d’« augmenter significativement le nombre d’adoptions au Chili », et, pour ce faire, de « créer un mouvement d’opinion publique en faveur de l’adoption, d’informer et motiver l’adoption et accélérer les procédures ». (...)

L’objectif ? Réduire la pauvreté infantile sans dépenser d’argent public. Au-delà du calcul économique visant à littéralement exporter – parfois à prix d’or – les enfants pauvres du Chili, (...)

Pinochet aussi aurait donc voulu éradiquer dès le berceau la menace du communisme, mais, à la différence de la junte argentine, il ne se serait pas contenté des enfants des opposants : il aurait ciblé l’ensemble des couches populaires. (...)

l’enfer imposé à des milliers de familles chiliennes était bien souvent, comme le dit l’adage, pavé de bonnes intentions. Les intermédiaires de la société civile qui ont participé à ces rapts n’étaient pas, dans leur grande majorité, des agents de la dictature, mais des hommes et des femmes convaincu·es, au bout du compte, d’accomplir une bonne action en donnant un enfant pauvre à un couple étranger. Quitte à mentir et à bafouer les droits de milliers de mères.