
Dans une décision que « Libération » a pu consulter, Jacques Toubon considère que le jet de grenade qui a gravement blessé un manifestant en 2016 n’était pas justifié. Il recommande « l’engagement de poursuites disciplinaires » et exhorte le ministère à engager une « réflexion approfondie » sur cette arme.
Ce jour-là, près de la place de la Nation à Paris, lors d’une manifestation contre la loi travail, cet homme de 28 ans est gravement touché à la tête et s’écroule. Une grenade de désencerclement vient d’éclater à ses pieds alors qu’il se trouve parmi un petit groupe qui assiste à une arrestation. Cette arme dite de « force intermédiaire » propulse 18 galets en caoutchouc à près de 150 mètres par seconde. Hospitalisé en urgence absolue, il souffre d’une fracture et d’un enfoncement de la boîte crânienne, d’un hématome sous-dural et d’une hémorragie méningée. Romain Dussaux est opéré et passe plus d’une semaine dans le coma. (...)
Le juge d’instruction n’a pas estimé qu’il existait des charges suffisantes pour mettre en examen le policier. Depuis, l’enquête est au point mort.
« Pas empêché d’accéder à la cour »
La lecture des faits du Défenseur des droits paraît bien éloignée de celle du juge d’instruction. (...)
Jacques Toubon, à qui il n’appartient pas de se prononcer sur la position de la justice, recommande cependant sur le volet administratif « l’engagement de poursuites disciplinaires ».
« Réflexion approfondie »
Jacques Toubon s’attaque aussi à la formation reçue par les forces de l’ordre pour l’usage de cette arme. « Au niveau de la partie théorique, il nous est bien expliqué que c’est une arme non létale, qui ne peut pas causer de dommage grave, expliquait Nicolas L. G. lors de son audition judiciaire. On ne nous a jamais parlé, lors de la formation, de dommages aussi importants tels que constatés sur la victime. » Le Défenseur des droits confirme que le policier ne pouvait donc pas « anticiper la gravité des lésions causées » car « l’emploi de la grenade a eu des conséquences bien plus graves que celles présentées lors de la formation dispensée aux fonctionnaires de police ».
L’autorité administrative indépendante profite aussi de cette décision pour adresser deux messages au ministère de l’Intérieur. Jacques Toubon souhaite d’une part que la formation prenne mieux en compte la dangerosité de l’arme et demande aussi l’ouverture d’une « réflexion approfondie » sur la pertinence de cette arme lors d’opération de maintien de l’ordre. Ces grenades ont été utilisées massivement contre les manifestants, pendant le mouvement contre la loi travail, puis celui des gilets jaunes, mais aussi fréquemment face aux migrants à Calais ou encore dans certains quartiers populaires. La liste des blessures graves causées par cette arme s’allonge chaque année. Le ministère de l’Intérieur, qui a deux mois pour répondre, a bien reçu le courrier. « C’est en cours d’analyse », indique-t-on place Beauvau.