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« Le Jeu de la mort » ou la télé en zone extrême
samedi 13 mars 2010, par Marie Bénilde
Article mis en ligne le 15 mars 2010
dernière modification le 14 mars 2010

Le 17 mars, France 2 diffuse un documentaire de télé réalité, « Le Jeu de la mort », où 81% des candidats à un jeu télévisé ont actionné des manettes susceptibles d’administrer des chocs électriques mortels à une victime consentante. Il s’agit bien entendu d’une mise en scène voulant démontrer l’étendue du pouvoir du petit écran. Mais en cherchant à expliquer « jusqu’où va la télé », la chaîne nous renseigne surtout sur les limites d’une expérience.

...Réitérant l’expérience de Stanley Milgram, menée au début des années 1960 dans un laboratoire de l’université de Yale, le documentariste s’est appuyé sur une équipe de chercheurs dirigée par la professeur de psychologie sociale Jean-Léon Beauvois pour vérifier si la télévision était bien en mesure de fabriquer de la soumission à l’autorité, comme dans la célèbre expérience reprise dans le film I Comme Icare, d’Henri Verneuil....

...Pas de doute, tous les codes des jeux télévisés sont bien là. La mise en scène est d’ailleurs signée du réalisateur de « Fort Boyard » (France 2), Gilles Amado....

...L’expérience de Milgram, qui a été rééditée une bonne vingtaine de fois en cinquante ans, ne trouve pas dans sa transposition télévisuelle des facteurs d’atténuation de la soumission. Bien au contraire....

...l’appel au public ...intervient en dernier ressort pour achever de convaincre le participant de poursuivre le jeu (« Qu’en pense le public ? » Réponse : « châtiment », « châtiment »...)....

...Dans l’expérience de Stanley Milgram, seuls 62% des participants avaient été jusqu’à infliger des décharges supposées mortelles à l’individu soumis à la « question ». Avec « Le Jeu de la mort », non seulement cette proportion est encore plus importante (81%), mais la « désobéissance » y est toute relative ...

...le documentariste entend démontrer que la transgression ultime se profile quand les télévisions en arrivent à faire sauter le tabou de la mort. Des images viennent en appui de la thèse d’une dérive toujours plus affirmée vers la satisfaction des plus bas instincts, comme la pulsion de mort....

...Après le déballage intime, l’humiliation des moins forts, l’élimination du maillon faible ou la promotion de l’adultère, la mise en scène de la mort achèverait un cycle d’insensibilisation progressive à nos valeurs profondes en tant que civilisation éclairée. Et assurerait donc, en creux, l’avènement d’un monde barbare où tout est bon pour s’enrichir et avoir son quart d’heure de notoriété.

Mais ce noble objectif - qui est également servi par le documentaire du même Christophe Nick, Le Temps de cerveau disponible, diffusé le 18 mars - a t-il pour autant besoin de reconstituer l’expérience de Milgram à travers une adaptation sous le forme d’un jeu télévisé ? L’intérêt est sans doute de reprendre les armes de la télé réalité pour la retourner contre elle dans un documentaire coup de poing... Mais, malgré la construction de tout un appareil de légitimation scientifique, Nick ne saurait s’épargner un questionnement éthique qui rend problématique son expérimentation......

... comme le dit Ignacio Ramonet, auteur de Propagandes silencieuses : masses, télévisions, cinéma (Gallimard, 2003) et ancien directeur du Diplo :

« Ce n’est pas tant la télévision en elle-même qui constitue un instrument de soumission que le dispositif qui l’entoure. Il s’agit d’un système (...). Je crois qu’au fond c’est le dispositif de la scène qui produit cet effet de soumission [2]. »...