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Le Larzac se lève contre un projet géant de centrale solaire
Article mis en ligne le 15 mars 2019
dernière modification le 13 mars 2019

Sur le causse du Larzac à l’histoire bouillonnante, la société Arkolia projette la construction de la plus grande centrale photovoltaïque de France. Élus, naturalistes, paysans, éleveurs affûtent leurs arguments contre Solarzac, cette installation industrielle jugée « démesurée ». Le Caylar et Le Cros (Hérault), reportage
À perte de vue, des prairies parsemées de buis, entrecoupées çà et là de bosquets de chênes verts.

Sur le causse du Larzac à l’histoire bouillonnante, la société Arkolia projette la construction de la plus grande centrale photovoltaïque de France. Élus, naturalistes, paysans, éleveurs affûtent leurs arguments contre Solarzac, cette installation industrielle jugée « démesurée ». (...)

À perte de vue, des prairies parsemées de buis, entrecoupées çà et là de bosquets de chênes blancs. Quelques monticules calcaires reflètent un soleil hivernal brûlant. Au loin, les monts cévenols, à peine tachetés de neige, fixent un horizon. Le long de la route qui mène au cirque de Navacelles, une brise légère secoue doucement les arbustes. En contrebas, des craves à bec rouge picorent paisiblement dans un pré. « Sur le Larzac, les conditions sont idéales pour produire de l’énergie photovoltaïque : un fort ensoleillement et un vent qui vient rafraîchir les installations pour un rendement optimal », note Guy Degreef en désignant un hangar agricole couvert de panneaux noirs. (...)

Et c’est précisément sur ce causse à l’histoire militante bouillonnante que pourrait s’implanter la plus grande centrale photovoltaïque de France. « Solarzac », c’est le nom marketing donné par la société Arkolia à son projet, encore en phase de concertation. Pour le moment, rien n’est donc sorti des terres caillouteuses du sud du Larzac. Mais sur la plaquette de présentation aux couleurs vives, les dimensions de l’installation font tourner la tête. 29.990 tables photovoltaïques implantées sur 400 hectares, pour une puissance de 320 MW supposée capable d’approvisionner en électricité l’équivalent d’une ville de 210.000 habitants. Mais ce n’est pas tout : le projet comprend également une unité « power to gas » capable de transformer de l’eau et du CO2 atmosphérique en méthane [voir encadré] . « En phase d’exploitation, le projet permettrait des émissions négatives [captation de CO2] à hauteur des émissions de 10.000 voitures », conclut la plaquette.

« Si on recouvre les prairies de panneaux, les aigles ne pourront plus se nourrir ! »
Pas de quoi convaincre Guy Degreef. Habitant des Cévennes gardoises toutes proches, cet entrepreneur en énergies renouvelables a fait de la lutte contre Solarzac son cheval de bataille. « C’est un projet démesuré, à la rentabilité incertaine, qui ne correspond pas aux besoins du territoire, et qui cherche pourtant à passer en force », résume-t-il. À ses côtés, Bernard Ricau observe aux jumelles une grande bâtisse accrochée à une colline, perdue au milieu de la végétation caussenarde. (...)

Et c’est précisément sur ce causse à l’histoire militante bouillonnante que pourrait s’implanter la plus grande centrale photovoltaïque de France. « Solarzac », c’est le nom marketing donné par la société Arkolia à son projet, encore en phase de concertation. Pour le moment, rien n’est donc sorti des terres caillouteuses du sud du Larzac. Mais sur la plaquette de présentation aux couleurs vives, les dimensions de l’installation font tourner la tête. 29.990 tables photovoltaïques implantées sur 400 hectares, pour une puissance de 320 MW supposée capable d’approvisionner en électricité l’équivalent d’une ville de 210.000 habitants. Mais ce n’est pas tout : le projet comprend également une unité « power to gas » capable de transformer de l’eau et du CO2 atmosphérique en méthane [voir encadré] . « En phase d’exploitation, le projet permettrait des émissions négatives [captation de CO2] à hauteur des émissions de 10.000 voitures », conclut la plaquette.

« Si on recouvre les prairies de panneaux, les aigles ne pourront plus se nourrir ! »
Pas de quoi convaincre Guy Degreef. Habitant des Cévennes gardoises toutes proches, cet entrepreneur en énergies renouvelables a fait de la lutte contre Solarzac son cheval de bataille. « C’est un projet démesuré, à la rentabilité incertaine, qui ne correspond pas aux besoins du territoire, et qui cherche pourtant à passer en force », résume-t-il. À ses côtés, Bernard Ricau observe aux jumelles une grande bâtisse accrochée à une colline, perdue au milieu de la végétation caussenarde. (...)

C’est là aussi que Bernard Ricau est venu pendant de longues semaines l’été dernier observer un couple d’aigles royaux. « Nous avons mis plusieurs mois avant de parvenir à capturer le mâle afin de l’équiper d’une balise, raconte l’ornithologue et agent retraité du Parc national des Cévennes. Une fois l’oiseau bagué, nous avons pu suivre très précisément tous ses déplacements. » Ainsi, lorsqu’il a appris, fin septembre 2018, qu’une installation photovoltaïque pourrait s’implanter sur le domaine de Calmels, son sang n’a fait qu’un tour. (...)

Depuis trente ans, le Groupe d’études des rapaces du sud du Massif central travaille avec persévérance afin de sauver ces oiseaux emblématiques : la population est ainsi passée de 10 à 45 couples. D’où la colère de Bernard Ricau envers le projet Solarzac (...)

« Nous ne sommes pas contre les énergies renouvelables, mais nous n’en voulons pas quand elles condamnent des pans entiers de notre biodiversité, souligne Pierre Maigre, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) dans l’Hérault. Les panneaux photovoltaïques ne doivent pas être implantés au sol dans des zones naturelles ou agricoles. » (...)

Au centre des inquiétudes, la ressource en eau. Les premiers documents rédigés par Arkolia avançaient le chiffre alarmant de 80.000 m³ de prélèvement annuel, soit plus de la moitié de la consommation en eau potable des habitants du Larzac méridional. L’entreprise a ensuite rétropédalé, indiquant dans sa nouvelle maquette que l’approvisionnement proviendrait du « ruissellement des panneaux photovoltaïques et des capteurs solaires » ainsi que de la récupération d’eau [1].

« L’eau est une ressource rare, et qui va se raréfier avec le changement climatique, dit Jean-Noël Malan, maire d’un village voisin et vice-président à l’agriculture de la communauté de communes du Lodévois Larzac. Ce projet est trop consommateur d’eau, en plus de constituer une atteinte à la biodiversité et d’être en contradiction avec le classement de cette région au patrimoine mondial de l’Unesco. » Le 21 février, avec d’autres élus communautaires, Jean-Noël Malan a poussé avec succès pour l’adoption d’une motion contre Solarzac.

Même son de cloche du côté de la région Occitanie. (...)

Les terres agricoles, voilà une nouvelle pièce maîtresse de ce puzzle larzacois. Car Solarzac, c’est aussi, et peut-être avant tout, 400 ha de terres artificialisées, et 600 ha de terres pour un « retour à la nature en gestion concertée », dixit l’entreprise promotrice, autrement dit, réservées à la compensation écologique du projet. « Il s’agit d’une appropriation de la campagne pour d’autres choses que l’agriculture, estime Dominique Voillaume, éleveuse de brebis à Saint-Maurice-Navacelles. Les terres agricoles doivent servir à nous nourrir. » (...)

« Les brebis ne vont pas pâturer sous les panneaux, elles restent donc en plein soleil »
Il suffit de se rendre à l’entrée du domaine de Calmels, entièrement clôturé de grilles de 1,80 mètre de haut, pour comprendre ce que souligne l’édile. Les collines buissonnantes sont constellées de miradors. Dans les clairières, on aperçoit ça et là des troupeaux de daims et de mouflons. Au total, 700 ongulés — chevreuils, cervidés — ainsi que quantité de volatiles et de sangliers sont littéralement élevés dans ce parc, pour le plus grand plaisir des amateurs de fusils prêts à débourser de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros la journée de chasse. Un business établi depuis plus de quinze ans, mais qui ne serait plus si juteux, puisque son propriétaire, Éric Saint-Cierge, a décidé de cesser l’activité, laissant la place aux panneaux photovoltaïques. (...)

Dans les années 1970, un troupeau de 500 brebis produisait du lait pour Roquefort ; vingt ans plus tard, elles étaient plus de 800 à pâturer ce coin du causse propice au pastoralisme. « Sur Calmels, on pourrait facilement imaginer une ou même plusieurs installations de paysans, avec de l’élevage et une fabrication de fromages », dit l’éleveuse, rappelant que de nombreux porteurs de projet ne trouvent pas de terres pour s’installer dans l’Hérault. (...)

Excepté les six conseillers municipaux du Cros, il ne semble pas y avoir grand monde pour défendre Solarzac sur le causse. Arkolia n’a pourtant pas lésiné sur les moyens pour convaincre les élus, faisant miroiter une trentaine d’emplois et des retombées fiscales non négligeables : 10.000 euros annuels pour la commune, 1,6 million d’euros pour la communauté de communes, 1,2 million d’euros pour le département, et 150.000 euros pour la région. (...)

« On expliquera les choses correctement, de manière pédagogique, afin d’être compris par tous » (...)

l’entreprise reste pour le moment discrète quant à son business plan, comme sur bien d’autres sujets d’ailleurs : pourquoi avoir apposé dans la première plaquette le logo de la LPO et d’Enercoop sans leur accord ? Pourquoi indiquer dans un premier temps que « la transformation power to gas demande une quantité d’eau importante », avant d’affirmer que « la consommation en eau de l’installation de biométhanation est réduite » ? Pourquoi indiquer que le terrain n’a « jamais été cultivé » ? Que signifie « le développement d’une zone dédiée à la protection des grands rapaces et à leur soin » ?

Malheureusement, la société n’a pas souhaité répondre aux questions de Reporterre. (...)

Contactée également, la Commission nationale du débat public a indiqué que la concertation préalable devrait se dérouler au printemps. À son issue, le garant nommé par la Commission rendra ses conclusions et recommandations. Si l’entreprise souhaite poursuivre son projet, viendra ensuite l’enquête publique. Le permis de construire, qui sera instruit par une communauté de communes plutôt hostile, ne devrait donc pas être déposé avant 2020. Ce sera alors au préfet de décider.