Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Regards
Le PIL recharge les décrocheurs (scolaires) ... Et pourtant, il est menacé…
Article mis en ligne le 19 août 2018

Le décrochage scolaire est un fléau. Chaque année, 100 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Le Pôle innovant lycéen (PIL), un lycée du 13e arrondissement à Paris, est l’un des rares établissements de l’Éducation nationale à tenter de raccrocher ces jeunes. Et pourtant, il est menacé…

Dès le premier regard, le Pôle innovant lycéen (PIL) Lazare-Ponticelli déroute. De grands espaces à peine cloisonnés rappellent un bureau open space. Les classes offrent un champ de vision étendu grâce à leurs larges fenêtres. L’atelier de recyclerie et les verrières de toit invitent au travail manuel. L’espace "agora", avec son salon et sa cuisine pour chiller en langage jeune, convient à la détente. Les premiers pas dans ce lycée différent des autres invitent déjà au changement de paradigme.

« Je suis arrivée au PIL en imaginant que "décrocheur" était synonyme de "cas social". C’est faux, raconte Nadège le Cam, professeur d’arts plastiques au PIL. Des jeunes à l’environnement très porteur peuvent aussi capoter pour des raisons psychologiques. Pour certains, l’institution les a malmenés. Pour d’autres, une phobie scolaire et sociale s’est installée. Les raisons sont multiples. »

Un lieu unique, l’élève au centre(...)

le lycée inversé, le lycée de la solidarité internationale, le lycée des futurs, le lycée au long cours et le lycée sports et avenir.

Le cas par cas est appliqué. Issus de milieux sociaux hétéroclites, ils partagent des accidents scolaires ou de vie qui les ont fait sortir du système. Une école de la dernière chance pour nombre d’entre eux, et un lieu qui ressemble plus à une fac d’arts ou à un lycée professionnel. C’est souvent un facteur déclencheur pour les élèves qui viennent passer leurs entretiens pour y entrer. « Le lieu est vital », pointe Nadège Le Cam.

Le PIL a été créé par des enseignants en 2000. Établissement de l’Éducation nationale, il a la particularité d’être principalement géré par les treize enseignants, malgré la présence d’un proviseur. Ils sont tous volontaires et sont choisis par leurs pairs lors d’entretiens. Les élèves, eux aussi, sont volontaires. Le cursus est non-diplômant. (...)

Les rapports entre professeurs et élèves sont horizontaux, fondés sur l’échange. Les notes sont mises de côté au profit de l’auto-évaluation. Les parents sont associés, notamment lors des bilans de fin de séquence avec l’élève, avant les vacances scolaires. Les volets éducatif et pédagogique se conjuguent. « Chaque professeur enseigne plusieurs matières et joue également le rôle de tuteur », souligne Juliette Chamonard, enseignante dans la classe de la solidarité internationale. Les cours sont adaptés au profil des élèves afin de leur redonner de l’appétit pour l’apprentissage(...)

Raccrochage : le discours et la méthode
« Vous avez changé ma vie ». La phrase, lourde de sens, tombe comme un cadeau. (...)

« C’est flatteur, mais ce n’est pas "nous", corrige avec humilité Nadège Le Cam. Nous avons juste été des accompagnants. C’est l’élève qui a changé sa vie. Nous avons simplement posé un cadre, mis les numéros dans le bon ordre. » Pas de satisfecit au PIL : la route est longue.

Le cas par cas comme antienne. Le système classique est enferré dans des programmes scolaires touffus et des classes surchargées. Il ne donne plus le temps de s’arrêter sur l’élève pour savoir ce qui marche ou pas dans les apprentissages, si des problématiques extérieures chamboulent sa vie (phobie, précarité, divorce). Au PIL, l’élève avance à son rythme avec son histoire, ses points forts et ses points faibles.(...)

L’autonomie dont jouit l’équipe pédagogique est visible partout : elle aménage les programmes, trouve des moyens originaux pour diffuser le savoir à l’aide des nouvelles technologies, crée les emplois du temps, s’occupe de la communication et de l’organisation de l’établissement… Cette liberté est « un luxe absolu », selon Juliette Chamonard, qui se paie aussi par une présence accrue des profs, d’au moins vingt-cinq heures contre seize à vingt ailleurs pour les profs. Une autonomie qui rime avec innovation et enrichissement personnel.(...)

L’école est aussi un lieu d’apprentissage de cette vie, ce qui a manifestement complètement échappé au milieu éducatif. Les enseignants vivent avec la hantise que les décrocheurs d’aujourd’hui reproduisent leur colère vis-à-vis de l’école à leurs futurs enfants…

Pour faire face au décrochage scolaire, plusieurs dispositifs existent. Le PIL fait partie de la Fédération des établissements scolaires publics innovants (FESPI), qui regroupe une vingtaine de structures pour décrocheurs et des établissements alternatifs. À ne pas confondre avec la cinquantaine d’écoles de la seconde chance qui, elles, sont portées sur le seul volet professionnel. Enfin, aujourd’hui les lycées sont tenus de trouver des solutions internes pour retenir les élèves.

Le décrochage scolaire reste une problématique nationale. Chaque année, entre 100 000 et 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme.(...)

paradoxe, les structures innovantes dédiées à la cause sont couvertes d’éloges, alors qu’elles sont trop peu nombreuses et ne concernent à peine quelques milliers d’élèves dans tout l’Hexagone…

Le PIL en danger

Malgré dix-sept ans de réussites face au décrochage scolaire, le PIL voit son existence menacée. Le rectorat a décidé son déménagement dans les nouveaux locaux d’un établissement du 19e arrondissement pour l’année 2018-2019. Sans concertation avec l’équipe enseignante. La colère et l’incompréhension montent. « On nous a annoncé l’évaluation du lycée en même temps que ses conclusions : ce n’est pas le PIL qui déménage, c’est son esprit », explique un enseignant du lycée. Dans les faits, le projet pédagogique innovant est bouleversé. Les larges espaces dédiés à la recyclerie, aux ateliers et au sport vont disparaître, tout comme les liens tissés pendant des années avec des partenaires locaux (habitants, artistes, acteurs de la solidarité internationale).

Pire, l’autonomie pédagogique des enseignants et la personnalisation des cours pour chaque élève sont remises en cause. Une reprise en main du rectorat se fait sentir derrière ce déménagement. Ce dernier ne verrait pas d’un bon œil un deuxième espace pédagogique autonome à Paris en compagnie du Lycée autogéré de Paris (LAP).

La bagarre est engagée avec le renfort de toutes les personnes qui ont connu ou fréquenté cet établissement pas comme les autres. Pour continuer à faire exister l’une des rares structures de France qui prend le problème du décrochage scolaire à bras-le-corps, d’autant plus précieux que le gouvernement d’Emmanuel Macron, sous l’autorité du très controversé ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, n’a toujours fait aucune annonce à ce sujet, et compte simplement poursuivre les mesures prises par Najat Valaud-Belkacem…